Benoît XVI a réussi son pari mexicain
Alors que le deuxième pays catholique du monde vit une laïcité à peine stabilisée, le pape a appelé au dialogue et à l’approfondissement de la foi en vue d’une nouvelle évangélisation.
Il est attendu lundi soir à Cuba pour la seconde étape – sans doute très politique – de son voyage
Le Mexique a tenu sa promesse. L’Église y a rassemblé, ce dimanche, plus de 600 000 personnes, selon les autorités, pour l’Eucharistie célébrée par Benoît XVI au Parc du Bicentenaire, à 60 km de Leon, au centre du pays.
Depuis le début de ce 23e voyage du pape hors d’Italie, la foule a été très présente, aussi compacte que bon enfant, toutes générations confondues, pour le plus grand bonheur, visible, du pape, qui n’a pas semblé marqué par la fatigue du long voyage. Elle l’était également, à Guanajuato, charmante petite bourgade minière perchée à quelque distance du sanctuaire du Christ Roi du Cubilete, pour la rencontre avec les enfants.
Un double fil rouge a parcouru ces trois journées mexicaines. Alors que les interlocuteurs du pape, évêques ou président, ne se sont pas privés de désigner crûment les maux qui accablent leur pays, l’évêque de Rome les a comme pris par la main pour les placer sur un autre terrain, en tant que « pèlerin » de la foi qui sauve, de l’espérance qui récuse les impasses apparentes, et de la charité qui panse les plaies de tous.
Le « visage sinistre du mal incarné par le crime organisé »
Les quatre étapes de ce voyage de deux jours n’ont été marquées ni par les images – si ce n’est celle de Benoît XVI coiffé d’un sombrero –, ni par l’émotion, mais par les mots. C’est par eux que Benoît XVI a exprimé son souci fondamental : toucher le cœur des hommes à partir du cœur de la foi, de l’Écriture et du témoignage.
Accueillant le pape ce dimanche à Leon, l’archevêque, Mgr José Martin Rabago, évoquant « le sentiment de peur, de désespoir » qui accable son peuple, a décrit une « réalité dramatique, qui plonge ses racines dans la pauvreté, la corruption, l’impunité, une mauvaise administration de la justice. »
De même, à l’aéroport, le jour de l’arrivée, le président Calderon avait été explicite, évoquant « la violence impitoyable », le « visage sinistre du mal incarné par le crime organisé », mais aussi les sécheresses, inondations, épidémies et séismes. Même si ce voyage papal fut l’occasion d’une trêve, les blessures sont là, plus que vives.
« Pour que Dieu habite en nous, il faut l’écouter »
Face à ce tableau déchirant, Benoît XVI a déplacé le débat pour l’amener là où, selon lui, il doit se vivre : au cœur de l’homme. Certes, le pape a pris acte, comme à l’angélus ce dimanche, du fait que « tant de familles se trouvent divisées ou forcées à émigrer, et d’autres innombrables souffrent à cause de la pauvreté, de la corruption, de la violence domestique, du narcotrafic, de la crise des valeurs ou de la criminalité. »
Mais c’est pour évoquer, comme il l’a dit dans l’avion, la « grande responsabilité de l’Église » qui doit « faire tout son possible contre le mal ». Et cela à l’aide de deux piliers : « l’annonce de Dieu » et « l’éducation des consciences ». Car « Dieu est le juge du bien et du mal », et l’Église doit « éduquer les consciences contre l’idolâtrie de l’argent, les fausses promesses et les mensonges qui rendent l’homme esclave ». Parce que celui-ci « a besoin d’infini », « Dieu doit être rendu présent à tous dans sa bonté ».
Devant l’immense foule de Leon, et les trois principaux candidats à l’élection présidentielle de juillet, le pape a précisé sa pensée, centrée sur le « pouvoir de Dieu, qui est pouvoir du bien, pouvoir d’amour. Et, pour que Dieu habite en nous, a-t-il poursuivi, il faut l’écouter ; il faut se laisser interpeller par sa Parole chaque jour, en la méditant dans son cœur, à l’exemple de Marie. Ainsi grandit notre amitié personnelle avec lui ; s’apprend ce qu’il attend de nous et se reçoit le courage pour le faire connaître aux autres. »
Prendre soin des laïcs
Dans cette perspective, encore à l’angélus, le pape a fait appel à la Vierge de Guadalupe, véritable icône nationale de ce pays, qui « continue à appeler au respect, à la défense et à la protection de la vie humaine, et à la stimulation de la fraternité, évitant la vengeance inutile et déracinant la haine qui divise. » Pour cela, à plusieurs reprises, le pape a appelé le peuple mexicain à aller au-delà de la « schizophrénie », à « résister à la tentation d’une foi superficielle et routinière, parfois fragmentaire et incohérente ».
Au-delà du Mexique, c’est à toute l’Amérique latine, à ses évêques (présents à Leon en grand nombre), prêtres et laïcs, que Benoît XVI a lancé un message, dans le cadre, plus universel, de l’année de la foi qu’il ouvrira en octobre : « étudier, diffuser et méditer les Écritures Saintes qui annoncent l’amour de Dieu et notre salut », « porter une grande attention aux séminaristes, les encourageant à « ne rien vouloir savoir d’autre, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ».
Sans oublier un appel remarqué à prendre soin des laïcs « les plus engagés dans la catéchèse, l’animation liturgique, l’action caritative et l’engagement social »
Indispensable noblesse de l’activité politique
Enfin, les observateurs ont noté la place accordée officiellement, dimanche soir, au discours du cardinal Secrétaire d’État, Tarcisio Bertone, devant les évêques latino-américains. Fragilisé à Rome par les fuites fréquentes de documents confidentiels, il s’est vu accorder ce soir-là un statut prééminent, confirmant ainsi sa position.
Très direct, il a appelé l’État mexicain à faire évoluer sa constitution, « au-delà de la simple liberté de culte » pour permettre à l’homme de « professer ses propres convictions religieuses, tant en privé qu’en public, droit qui doit être reconnu et garanti par la législation. ». Et il a rappelé, en termes plus vifs que ceux utilisés par le pape, l’indispensable noblesse de l’activité politique.
FRÉDÉRIC MOUNIER, à Leon et Guanajato (Mexique)