Témoignage d'Elisabeth VAXELAIRE
En lien avec la fête de la Toussaint le 1er novembre et la Commémoration de les fidèles défunts le 2, l'archiprêtré de Phalsbourg fait paraître une Lettre sur le thème "Faire face à la mort".
Dans cette Lettre, figure une version courte du témoignage d'Elisabeth Vaxelaire concernant le décès de son mari. Voici l'intégralité de son texte :
Accompagner sans partir soi-même
Gilles, mon mari a quitté cette vie le lundi 22 avril 2013 à 0h40. Entre son premier arrêt de travail le 23 octobre 2012 et son départ, il s'est écoulé 6 mois... L'annonce du verdict de son cancer (estomac avec métastases au foie) nous a plongés dans la stupeur et la « déception ». Déception dans le sens où il est décevant de se dire pourquoi moi ? Alors qu'on pense que ce genre de mésaventure ne peut pas nous arriver...
Aux côtés de Gilles je me suis plongée dans la bataille contre la maladie en ne pensant qu'à son confort, en m'oubliant pour me concentrer sur son bien être...
Centre Paul Strauss, chimios, IRM, scanner, marqueurs, ambulance, pharmacie... antibiotiques, antidouleurs... la liste des mots représentant la maladie est longue, rude et fait froid dans le dos. Je ne m'étendrai pas sur ces 6 mois passés à constater avec impuissance la lente mais inexorable descente physique de mon mari. Chaque marche descendue n'a jamais été remontée...
Deux mois environ après le début de son traitement j'ai proposé à Gilles de redire ensemble le Notre Père et le Je vous Salue Marie avant de nous endormir le soir. J'avais un peu peur de l'ennuyer avec mes prières... Mais un soir, alors que j'étais trop fatiguée, j'ai fait cette prière dans ma tête et je me suis endormie... Le lendemain Gilles me l'a fait remarquer, signe que pour lui la prière du soir avait pris une grande importance.
Début mars 2013, j'ai constaté que le langage de Gilles devenait parfois incohérent. Il avait parfois des sortes d'hallucinations... Puis la semaine avant Pâques son teint a commencé à jaunir... Le samedi Saint, j'ai dû prendre la douloureuse décision de le faire admettre aux urgences de Strasbourg puis admission le jour de Pâques au Centre Paul Strauss...
Drôle de Carême et drôle de Pâques... coïncidence des dates, mon mari a amorcé sa descente au moment où l'on fête la résurrection de Christ...
Le mardi de Pâques, j'ai souhaité rencontrer les médecins. Je leur ai demandé de tout me dire au niveau de l'état de santé de Gilles. Ils m'ont clairement expliqué que le cancer de l'estomac avait empiré et que le foie était rempli de métastases... aucune opération possible...
Je leur ai donc demandé une estimation de l'échéance vitale : 2 mois, 1 mois, peut-être moins... il restait effectivement 20 jours...
Pendant le temps d'hospitalisation au centre Paul Strauss, je n'ai rien dit à Gilles... il a subi une opération de confort au niveau de la vésicule biliaire afin que son cerveau ne tombe pas trop vite dans le coma (effectivement Gilles est resté conscient jusqu'au bout). Puis le 12 avril il est rentré à la maison. Je l'ai récupéré dans un état de détresse physique, psychologique et morale difficile à accepter et à vivre...
Gilles a passé 2 jours et 2 nuits chez nous. Durant ce temps trop court, nous avons encore pu vivre (malgré la difficulté de la situation), un temps de paix relative. Tout a été fait pour que Gilles soit bien... Pour moi ce fut un temps béni où mon mari était encore présent à nos côtés même si c'est moi qui le rassurais, qui l'entourais, le protégeais comme un enfant... Alors qu'avant la maladie c'était l'exact contraire...inversion des rôles…
Le dimanche 14 avril, j'ai à nouveau dû me résoudre (toujours sous l'impulsion de mes beaux-frères et belles-sœurs qui nous ont été d'un soutien incroyable), à le faire réadmettre à l'hôpital cette fois-ci à Sarrebourg, l'expérience strasbourgeoise ayant été traumatisante sur la fin.
Alors que nous attendions une chambre pour Gilles dans une salle des urgences, je lui ai expliqué le plus calmement possible son état de santé. Il m'a remerciée gentiment, mais ne comprenait pas pourquoi j'avais gardé pendant 2 semaines toutes ces informations. Son cerveau était en fait dans l'incapacité d'entendre et de comprendre...
Cette dernière semaine de soins fut un temps d'au-revoir. Il est difficile, intellectuellement et humainement parlant, de quitter cette vie. Gilles a lâché prise le jeudi 18 avril au soir, quand moi-même, par mon comportement, j'ai lâché prise...
Le vendredi 19 avril, il a demandé à voir ses frères et sœurs pour leur transmettre à chacun ses dernières volontés... En ce qui me concerne, il m'a demandé d'être courageuse... c'est une volonté difficile à assumer, mais je m'y emploie.
Le samedi 20 avril, ma propre famille est venue de l'ouest de la France pour dire au-revoir à Gilles... Nous étions plus de 10 dans sa chambre sans parler... Gilles a pris chacun de ses neveux et nièces, beau-frère et belles-sœurs dans ses bras...
Nous avons eu droit à tous ses sourires et QUELS SOURIRES...
Le lendemain, j'ai téléphoné vers 11h00 dans le service... Sa nuit avait été très agitée... 45 minutes après mon coup de téléphone, l'infirmière m'a rappelée en disant que l'état de santé de Gilles s'était brusquement détérioré... il avait fait 2 arrêts respiratoires...
Le Père Dominique Thiry a répondu très vite à mon appel et est venu pour donner le sacrement des malades à Gilles. Celui-ci, en voyant le prêtre arriver, a fait une moue comme pour dire « DEJA », et quand celui-ci, en partant, lui a dit : « nous nous reverrons !!! », il lui a fait un immense sourire lumineux...
Pour son dernier après-midi, toute sa famille était là ainsi que 3 amis, mes parents, Amandine et moi-même...
Deux fois dans l'après-midi, Gilles a demandé à sa maman et à sa sœur comment on faisait pour partir... Sa maman, pleine de sa sagesse, lui a dit qu'il fallait dormir... C'est un peu ce qui s'est passé car, pour soulager sa douleur, le médecin, avec notre accord, lui a administré du Tranxen vers 17h00.
A partir de ce moment-là, Gilles ne souffrait plus. Son cerveau était toujours conscient mais il ne pouvait plus communiquer avec nous...
Vers 18h00 ceux qui devaient partir sont partis. Sont restés : ma belle-maman, mes parents, Amandine et moi-même...
Vers 20h30 Amandine, ma belle courageuse, a souhaité rentrer à la maison. Quand elle a dit au-revoir à son papa… il a bougé une dernière fois son bras et sa tête...
Pendant que maman faisait l'aller-retour entre l'hôpital et la maison, j'ai entrepris de disposer des serviettes éponge sous la tête de Gilles car il transpirait énormément…
Quand j’ai reposé sa tête le plus délicatement possible, sa respiration a brusquement changé…J’ai demandé à ma belle-mère d’appeler l’infirmière. Celle-ci m’a dit que Gilles se préparait à partir.
Maman est revenue, et nous nous sommes installées pour cette « attente » du départ. Pendant les dernières heures de Gilles, je lui ai beaucoup parlé. A un moment j'ai mis mes bras autour de sa tête et voici ce que je lui ai dit : « Gilles, par 2 fois tu as demandé comment on faisait pour partir... ta sœur n'a su que répondre, ta maman a dit qu'il fallait dormir... moi je pense que tu dois voir une lumière, va vers cette lumière. Tu ne peux pas rester ici, avec nous. Et moi je ne peux pas t'accompagner. Tu vas monter dans une barque, je reste sur le rivage et toi tu pars vers la lumière... »
Son « travail » de passage vers l’Ailleurs a duré jusqu'à minuit 30. J'ai regardé maman et nous avons constaté que sa respiration s'espaçait. J'ai voulu réveiller ma belle-maman qui d'elle-même s'était réveillée en sursaut...
En 10 minutes, Gilles a cessé de respirer... jusqu'au bout j'ai mis ma tête sur son cœur jusqu'à ce que je n'entende plus rien...
Je n'ai rien ressenti, aucun souffle, aucune paix, juste un grand vide, un désarroi, une immense fatigue.
La vie est un MYSTERE... LA MORT FAIT PARTIE INTEGRANTE DE LA VIE...
Un jour, moi aussi je quitterai mon corps, un jour moi aussi j'aurai accès à cet AU-DELA, à la PLENITUDE, au VRAI BONHEUR. Mais pour l'instant je dois vivre à FOND mon Contrat Corporel à Durée Déterminée sans chercher à tout prix « à savoir ce qui se passe de l'autre côté. »
Jésus a dit : « laissez les morts enterrer leurs morts... »
La maladie et la mort changent la personne malade mais AUSSI son entourage. J'ai changé, grandi avec Gilles dans la confiance. Je n'ai plus peur de la vie ni de la mort... J'ai accompagné mon mari jusqu'à la limite qui m'était permis... la prière m'a aidée (la mienne, mais aussi celle de tous ceux qui m'ont portée). Je sais qu'un jour Gilles m'attendra de l'autre côté, quand je m'en irai dans très longtemps...
En attendant je vais... avec le sourire sur les chemins de la VIE, de MA VIE ; les pieds sur terre, le cœur et la tête tournés vers le ciel... et surtout pas LA TETE DANS LE TOMBEAU (merci Dominique...)
Elisabeth VAXELAIRE