homélie du 3ème dimanche du T.O. 2014
Mt 4, 12-23
Chers amis,
Le début du ministère public de Jésus commence par un exode, un abandon. Tout nouveau départ dans la vie suppose toujours de quitter une situation antérieure. Jésus quitte Nazareth. Il quitte son pays natal pour la Galilée, le pays de Zabulon et de Nephtali.
Comme le dit l’Ecriture, la Galilée, c’est le carrefour des païens, un lieu de commerce, d’échange, de mélange entre les nations, de mélange entre les cultures et les croyances. Cette région d’Israël est un peu le symbole de notre mondialisation actuelle, ou d’internet : le meilleur et le pire s’y côtoient. On peut y faire fortune comme on peut y laisser sa chemise.
Et de fait pour un juif croyant, la Galilée n’a pas bonne réputation. A quoi bon chercher fortune s’y on y perd ses racines et son âme.
Si j’avais à prendre une comparaison, on va en Galilée comme on va à Paris. Les parents qui laissent partir leurs enfants à la capitale connaissent cette inquiétude : pourvu qu’ils ne leur arrivent rien, parce que là bas, rien n’est sûr.
Et bien Jésus quitte effectivement son beau petit village de Nazareth pour commencer sa mission là, en Galilée, où rien n’est sûr.
Sa mission, c’est sa vie. Il est venu pour cela ; pour être Lumière là où les ténèbres cherchent à dominer les hommes en se jouant de leurs passions.
« Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre, une lumière a resplendi. » Voilà la prophétie d’Isaïe qui s’accomplit en Jésus.
A qui apporte-t-il sa Lumière? A tous ceux qu’il appelle : Pierre, André, Jacques et Jean, et à nous tous qui sommes accaparés à démêler les filets de nos histoires personnelles.
Reconnaissons-le : nos vies sont parfois bien compliquées, et si souvent déchirées. Que ce soit au travail, dans nos familles, dans notre vie amicale, sociale, et même ecclésiale, dans notre corps et dans notre psychisme, il y a des blessures. Il y a de l’incompréhension dans nos réactions, parfois un certain désespoir, parfois des inquiétudes et des angoisses tenaces.
Et elles sont là et nous les ressassons sans cesse. Elles nous occupent tout le temps de notre vie, en prenant toute la place. Ras le bol ! N’y-a-t-il pas parfois, au fond de notre tête, le désir de tout fuir, de tout plaquer, et de tout recommencer, de renaître à une vie nouvelle? Ne sentons-nous pas parfois en nous ce désir implacable et brûlant de revivre ?
Tout quitter oui, mais pour qui, pour quoi, et vers qui et vers quoi aller ?
Jésus marche au bord du lac de Galilée. Et il appelle. Et des hommes tout à fait ordinaires sont comme aspirés, happés par ce passant inattendu et encore inconnu.
A deux d’entre eux, Jésus a bien laissé miroiter une vague promesse: « Je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Sur le moment, ils n’ont sûrement pas compris.
La soudaineté de pareilles vocations nous étonne. Elle nous pose même des questions. Personne ne raisonne. Personne ne soupèse le pour et le contre, ou ne marchande. Il n’y a ni contrat de travail, ni promesse de salaire, ni perspective d’avenir, rien.
On laisse tout tomber et on suit Jésus.
Dans quel but? Au service de quel projet?
Jésus n’en a rien dit. Et ils ne lui demandent aucun compte à ce sujet.
D’ailleurs, ce n’est pas un quelconque but ni un quelconque projet qui les ont ébranlés. Mais uniquement cet homme, Jésus, sa personne et le désir brûlant de le suivre.
Jésus. Qui est Jésus ? La lumière dans une vie morne et sans intérêt? En tout cas, c’est le coup de foudre pour les disciples. Ils ignoraient leur véritable faim et leur véritable soif. Elle était infiniment plus importante que leur petit commerce confortable, que leur barque et leurs filets.
Et ils ne savaient pas à quel point ils étaient blessés au fond d’eux-mêmes par ce désir de vivre.
Un seul regard, une seule parole de Jésus, et instinctivement ils voient le seul qui puissent les guérir.
Alors, sans trop réfléchir, ils y ont mis le prix. Ils ont tout largué, tout bazardé, tout abandonné pour le suivre. Ils ont tout vendu pour lui.
Nous le savons : un coup de foudre n’est que la première étape d’une longue aventure. Il doit faire long feu, car il n’est jamais appelé à durer.
Et il va s’éteindre d’ailleurs, inexorablement et même mourir. Même les apôtres auront à l’apprendre à leurs dépens. Car la vie, ce n’est pas simplement un coup de foudre. Il faut durer et endurer, il faut traverser, il faut ramer.
Les disciples se décourageront avec Jésus comme on peut se décourager encore aujourd’hui quand on a la foi. Ils refuseront de le comprendre. Ils protesteront contre ses choix. Pourquoi ne pas faire comme tout le monde, utiliser les mêmes moyens, avoir les mêmes idées, les mêmes opinions, les mêmes buts que tout un chacun, et se laisser aller dans le courant général de la société !
Pourquoi, pourquoi, pourquoi faut-il encore résister ? C’est intenable et ça ne marche pas.
Un triste soir de printemps, les disciples s’enfuiront lorsque Jésus sera emmené, fait prisonnier, et crucifié honteusement sur la place publique.
Ils auront vécu trois années merveilleuses auprès de Jésus. Mais elles n’auront pas suffi pour fortifier définitivement leur lien avec le Fils de Dieu.
Et au soir de Pâques, alors que la vie gagne définitivement –quelle victoire inespérée, les disciples douteront encore, refusant de prêter foi à des racontars de bonnes femmes.
Laissé à lui-même, leur coup de foudre des débuts serait resté stérile.
Pour devenir de vrais disciples, il leur faudra encore le matin de la Pentecôte et la force d’en-haut. Jésus leur avait promis son Esprit, sa puissance douce et paisible, son amour profond, son courage, sa détermination, sa grâce. Ce cadeau leur sera fait le jour de la Pentecôte. Alors ils pourront aller jusqu’au bout.
Chers amis, cette histoire, c’est notre histoire.
Pour passer du coup de foudre à la lumière qui ne s’éteint plus dans son cœur, il faut du temps. Il faut marcher. Il faut suer. Il faut piquer ses colères, parfois injustes, gueuler contre le maître et ceux qui le défendent ou le représentent, pour enfin se laisser faire, se laisser désarmer, pour enfin laisser ce profond désir de vivre être illuminé par la foi et accompli dans l’amour.
Mais n’oublions jamais : c’est Jésus qui appelle, c’est Jésus qui fait tout par son Esprit. Et ça, c’est quand même une sacrée bonne nouvelle. Amen.