Synode sur la famille: le point par Mgr Pierre-Marie Carré
LA Croix du 30 janvier 2014
Mgr Pierre-Marie Carré : « Le souhait que l’Eglise soit une famille ouverte et accueillante »
Mgr Pierre-Marie Carré, archevêque de Montpellier, vice-président de la Conférence des évêques de France, livre un aperçu de la synthèse qu’il a rédigée et qu’il adresse aujourd’hui au Vatican
Comment avez-vous procédé pour rédiger la synthèse des réponses des diocèses et mouvements de l’Église de France au questionnaire du Vatican en vue du Synode pour la famille en octobre à Rome ?
Mgr Pierre-Marie Carré : Pour établir la base de mon texte, je me suis servi des toutes premières réponses au questionnaire du Vatican et au fur à mesure de l’arrivée des contributions, j’apportais des compléments, en essayant d’être le plus objectif possible. J’ai travaillé seul avec ma secrétaire car à plusieurs, nous courions le risque de superposer les chapitres. En quelque sorte, c’est une photo que j’envoie à Rome.
Comment évaluez-vous la mobilisation de l’Église de France pour ce questionnaire ?
Mgr P.-M. C. : Je ne peux pas livrer de statistiques parce que tous les diocèses ne m’ont pas communiqué le nombre de réponses reçues. Cela va de quelques dizaines à plusieurs centaines, selon la méthode employée. 80 % des diocèses ont répondu. Par rapport aux deux Synodes précédents, dont j’avais fait la synthèse pour l’Église de France, la mobilisation est sans comparaison.
Certaines questions ont-elles suscité davantage de commentaires ?
Mgr P.-M. C. : Oui, la préparation au mariage, les divorcés remariés et l’ouverture des époux à la vie. Les propositions et les suggestions les plus nouvelles concernent la préparation au mariage. Beaucoup souhaitent que le Synode réfléchisse à un processus de type catéchuménal pour que les étapes de la préparation puissent être balisées : rite d’accueil avec bénédiction puis approfondissement de la réflexion avec l’aide de couples qui pourrait aboutir au sacrement du mariage pour les couples profondément motivés.
Pour les divorcés remariés, c’est d’abord la souffrance qui s’exprime, suivie d’un appel à la miséricorde de l’Église, réellement traduite dans les actes. Concernant l’accès au sacrement, beaucoup considèrent comme une « double peine » l’interdiction qui leur est faite. Personne ne remet en cause l’indissolubilité du mariage mais il y a des questions sur l’accès aux sacrements, après un temps de pénitence, comme cela se pratique chez les orthodoxes, sans que soit célébrée une nouvelle union.
Concernant l’ouverture des époux à la vie, il y a une vraie différence de réponses selon les âges. Ceux qui ont vécu la publication d’Humanae vitae l’ont souvent ressenti comme une rupture. Pour les plus jeunes, ce texte ne dit rien.
Avez-vous noté une forme de colère au sujet de la manière dont l’Église parle de sexualité ?
Mgr P.-M. C. : Un nombre important de catholiques pensent que l’Église devrait leur donner quelques repères et les laisser à leur conscience ; son insistance sur ces questions paraît incompréhensible car ils estiment que le désir ou non de naissance devrait concerner le couple dans sa relation avec Dieu, sans que l’Église ne cherche à légiférer.
Avez-vous constaté un fossé entre la doctrine et les pratiques pastorales ?
Mgr P.-M. C. : Je sais depuis longtemps, comme beaucoup d’évêques et de prêtres, qu’il existe une tension. À cet effet, de nombreuses réponses mettent en avant la nécessité pour l’Église de faire comprendre la loi de gradualité. En France, si la pratique ne correspond pas à la loi, on change la loi. L’Église agit autrement. Elle prend acte à la fois de la loi et de la situation particulière du couple et de sa possibilité d’accomplir un itinéraire. Personne ne doit être bloqué à un stade. Peut-être que les textes du Magistère ne le soulignent pas assez.
Quelles attentes expriment les catholiques ayant répondu au questionnaire ?
Mgr P.-M. C. : Avant tout que l’Église manifeste sa proximité à l’égard de tous, en n’imposant pas un idéal quasiment inaccessible. Qu’elle soit elle-même une famille ouverte et accueillante.
Ne redoutez-vous pas que le Synode porte son lot de frustrations ?
Mgr P.-M. C. : Le pape est bien conscient des attentes et donc des risques, il nous l’a dit lorsque nous sommes venus le voir, mi-janvier, pour lui présenter les travaux de l’Assemblée plénière des évêques de Lourdes. Pour lui, la famille est une question sérieuse, qui doit être traitée de manière profonde en prenant en compte les situations réelles.
« Il faut distinguer opinion publique et sens de la foi »
Dominicain, secrétaire général de la Commission théologique internationale, le P. Serge-Thomas Bonino rappelle que la consultation des fidèles par le Magistère est un procédé « traditionnel », déjà utilisé lors à l’occasion de la définition des dogmes récents.
Il souligne aussi le travail de « discernement » à opérer désormais pour distinguer, dans les réponses au questionnaire préparatoire au synode sur la famille, ce qui relève de l’authentique « sens de la foi » des fidèles de ce qui relève de « l’esprit du monde ».
– Cette idée de consulter les fidèles, comme le fait actuellement le Vatican en vue du synode sur la famille, est-elle nouvelle ?
– P. Serge-Thomas Bonino : Non, l’idée de consulter les fidèles fait partie du fonctionnement normal du rapport entre Magistère et peuple des baptisés. Elle résulte de la conviction de l’Église que les fidèles ont le « sens de la foi » (sensus fidei), c’est-à-dire un instinct spirituel qui leur permet de discerner ce qui est conforme ou non à la foi chrétienne. Elle a d’ailleurs été appliquée lors de la définition de deux dogmes récents – celui de l’Immaculée Conception de la Vierge (1854) et celui de son Assomption (1950) –, même si pour des raisons pratiques, cette consultation n’a pas pris la forme directe qu’elle revêt aujourd’hui. Ceci montre qu’il s’agit là d’un procédé classique, y compris sous Pie IX ou Pie XII qui ne sont pas réputés avoir abdiqué leurs responsabilités ! L’idée a également été bien mise en valeur par le cardinal John Henry Newman (1801-1890) dans son étude « On Consulting the Faithful in Matters of Doctrine » (1859), publié à l’occasion de la définition du dogme de l’Immaculée Conception. Seule la mise en forme est nouvelle cette fois.
– Quelles conséquences le Magistère doit-il tirer de ces réponses ?
– S-T.B. : Il est important de distinguer l’opinion publique majoritaire et le sens de la foi. Toute la question est de savoir si les réponses expriment ce que les catholiques vivent en profondeur en tant que baptisés ou reflète plutôt l’influence sur eux de l’esprit du monde… Sans doute les questionnaires qui vont remonter à Rome sont-ils constitués d’un mélange des deux. Il ne suffit pas d’être baptisé pour être témoin du sens de la foi. Il faut aussi avoir une vie ecclésiale, sacramentelle, à l’écoute de la Parole. Un travail de discernement sera donc nécessaire de la part du Magistère pour dégager ce qui relève de l’expression authentique du « sensus fidei », en priant, en réfléchissant…
Ce qui justifie ce type de consultation, c’est que les fidèles ont l’expérience concrète de ce dont il est question : le Magistère a donc tout à gagner à prendre en considération leur avis. En vivant dans la foi l’enseignement de l’Église sur le mariage, la famille, les baptisés peuvent percevoir que l’accent a été mis trop fort sur tel aspect ou que tel autre a trop été laissé dans l’ombre. Cette consultation, qui n’est pas un sondage, peut donc révéler des difficultés réelles et non pas seulement des blocages résultant d’une sorte de « mauvaise volonté ». Au Magistère d’en prendre acte et d’affiner son enseignement.
– Le fait que le questionnaire ait été diffusé par les évêques puis dans les paroisses ne permet-il pas de présupposer que ceux qui ont répondu sont engagés dans l’Église ?
– S-T.B. : Il est vrai qu’il ne s’agit pas d’une consultation tous azimuts ! Il est probable, au contraire, que les répondants participent activement à la vie de l’Église. Mais tout cela est difficile à évaluer : on ne va pas mettre à chacun une ‘note’de participation ! Avec la Commission théologique internationale, nous préparons un document – qui pourrait paraître prochainement – pour définir les critères qui permettent de reconnaître le « sensus fidei » authentique, en le distinguant de la seule opinion majoritaire.