Cardinal Maradiaga: "il faudrait un couple marié à la Curie"
La Croix du 17 février 2014
Coordonnateur du Conseil des cardinaux du pape François, réuni depuis lundi 17 février à Rome, le cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga, archevêque de Tegucigalpa (Honduras), propose qu’un couple marié dirige un conseil pontifical des familles au sein d’une future Congrégation pour les laïcs.
Le cardinal hondurien défend aussi la création d’un secrétariat des finances regroupant les organes économiques du Saint-Siège et confié à un seul cardinal.
Il indique que le pape souhaite impulser une large décentralisation dans l’Église, plaçant les laïcs, hommes ou femmes, en situation de « co-responsabilité ».
Les huit cardinaux, formant le « G8 » dont le pape s’est entouré pour le conseiller dans la réforme du gouvernement de l’Église, sont réunis pour la troisième fois. Comment cette réforme progresse-t-elle ?
Cardinal Oscar Maradiaga : Appelons plutôt ce conseil le « C8 », avec un C pour cardinaux ! Le Saint-Père nous a expliqué au début sa méthode : le discernement, qui est écouter, dialoguer, prier et agir, au sens d’élaborer des propositions. Dans l’ordre, le pape a voulu que nous commencions par le Synode des évêques. Il voulait que ce soit autre chose qu’un organe qui se réunit sur un thème particulier donnant lieu ensuite à un texte, pour en faire une institution permanente de consultation. Ensuite, nous avons rassemblé toutes nos observations concernant la Secrétairerie d’État. Nous avons rappelé que le secrétaire d’État se définit à l’origine comme secrétaire du pape. Il n’est pas comme un premier ministre, ni un vice-roi. Puis en décembre dernier, nous avons commencé à passer en revue chacune des neuf congrégations de la Curie. Nous n’avons pas encore terminé. Enfin, nous travaillons sur les différents conseils pontificaux et sommes prêts à faire des propositions à leur sujet. Ces jours-ci, nous écoutons les deux commissions d’experts que le pape a créées pour auditer l’Institut pour les œuvres de religion (IOR, « banque du Vatican », NDLR) et toutes les institutions financières du Saint-Siège. Elles nous rendent compte de leurs recherches et cela est très intéressant. Des décisions seront prises plus tard. Il ne faut pas s’attendre que, dès demain, la banque du Vatican disparaisse au profit d’une nouvelle banque. Mais bien sûr il y aura des changements.
Une suppression de l’IOR reste-t-elle une option ouverte ?
Card. O. M. : Tout dépend de ce qui ressort des rapports. Mais il vaut mieux soigner un malade que ressusciter un mort. Et se couper un bras est, je crois, le type de chirurgie que nous éviterons.
L’idée circule de créer un « ministère des finances » ?
Card. O. M. : Oui, on pourrait appeler cela un secrétariat des finances. C’est une idée très raisonnable et, je crois, nécessaire pour être mieux organisé et au final mieux servir. Les finances sont réparties entre différents dicastères. On a aujourd’hui l’Administration du patrimoine du Siège apostolique (Apsa), la préfecture pour les affaires économiques, le gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican, l’IOR…
Et aussi le patrimoine géré par la Congrégation pour l’évangélisation des peuples…
Card. O. M. : Tout à fait. Peut-être, mais cela fait partie de la discussion entre nous, cela pourrait être une idée qu’une seule personne soit responsable de tout.
Un laïc ou un cardinal ?
Card. O. M. : D’après l’actuelle organisation du Vatican, il est probable qu’un cardinal soit chargé du secrétariat des finances. Mais on peut aussi penser à un conseil permanent pour l’aider, comprenant des laïcs.
Qu’en est-il du projet, qui vous est cher, d’une Congrégation pour les laïcs ?
Card. O. M. : Cela est bien sûr tout à fait nécessaire dans l’Église. Nous avons une Congrégation pour les évêques, pour la vie religieuse, pour le clergé et seulement un Conseil pontifical pour les laïcs, qui forment pourtant la majorité de l’Église. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Après le concile Vatican II, les laïcs ne disposaient même que d’un secrétariat. Un conseil pontifical reste actuellement limité car il ne dispose pas de pouvoir légal. C’est pourquoi il nous faut une véritable Congrégation.
Dirigée par un laïc ?
Card. O. M. : Je ne sais pas. En revanche, au sein de cette Congrégation pour les laïcs, je ne vois aucun obstacle à ce qu’un conseil pontifical des familles y soit, lui, dirigé par un couple marié. Pourquoi pas ? Ce serait un signe magnifique. De même qu’une Congrégation pour les laïcs serait très belle dans l’Église. Je peux vous dire que l’Esprit Saint pousse dans cette direction. Chaque jour, de plus en plus, les hommes et femmes laïcs prennent leurs co-responsabilités comme dirigeants dans l’Église. C’est inscrit dans l’histoire en plusieurs endroits. En Corée, ce sont eux qui ont commencé l’évangélisation. C’est pourquoi le pape s’y rend l’été prochain : pour encourager les laïcs.
Votre réforme de la Curie s’annonce en tous les cas comme un processus long…
Card. O. M. : Oui car les bonnes choses exigent du temps. Nous engageons l’avenir donc nous ne pouvons pas improviser. Ceux qui improvisent sont plus sujets aux erreurs. Et il faut du temps pour assimiler une autre mentalité, ce qui n’est pas facile.
La décentralisation que souhaite le pape sera-t-elle aussi un vaste chantier ?
Card. O. M. : Oui, le pape l’impulse. Il ne veut pas que tout remonte dans les dicastères à Rome pour être résolu et répond que l’Esprit Saint souffle aussi dans les conférences épiscopales et dans les diocèses locaux. La subsidiarité est un des principes de la doctrine sociale de l’Église, et la décentralisation un moyen de la mettre en œuvre. Selon l’ecclésiologie de Vatican II, le pape gouverne l’Église avec la collaboration de tous, sans garder toutes les décisions pour lui.
À travers la consultation, à l’exemple du questionnaire sur la famille ?
Card. O. M. : Tout à fait. Ceci devrait toujours être le cas dans l’Église. Écouter toutes les voix, même dissonantes. Ce questionnaire n’était pas qu’un « coup ». Ce devrait être la méthodologie ordinaire. Et ce le sera.
Sur le fond, ceci fait ressortir des approches opposées sur la famille à travers le monde.
Card. O. M. : Oui, les expériences sont très différentes. Mais l’Église est une mère qui suit tous ses enfants, pas seulement les « très bons ». Une mère encourage chacun de la meilleure manière, en respectant la liberté de chacun. C’est pourquoi nous avons une Pastorale de la famille et pas seulement des lois. La pastorale sert à accompagner chacun jusqu’à ce qu’il puisse vivre l’idéal. Parfois, ce n’est pas possible parce que nous sommes des créatures limitées mais nous devons tendre vers l’idéal.
Votre « C8 » se réunira-t-il de nouveau dans deux mois ?
Card. O. M. : Nous nous retrouverons fin avril, après les canonisations de Jean XXIII et de Jean-Paul II. Beaucoup d’entre nous seront déjà à Rome donc cela permet des économies d’argent. Nous aurons alors toute la matière pour établir une nouvelle constitution apostolique, qui aura un autre nom que Pastor bonus, celle qui régit actuellement la Curie. Ce texte permettra de la réformer. Au-delà, tout dépend du thème sur lequel le Saint-Père voudra nous consulter. C’est à lui de considérer s’il aura encore besoin de nous réunir. Le nombre de cardinaux au Conseil peut aussi être élargi, selon sa volonté. La Curie n’est qu’une des tâches des réformes.
Recueilli par Sébastien Maillard (à Rome)
Les laïcs, entre promotion dans l’Église et hauts postes à Rome
Depuis Vatican II, Rome promeut l’apostolat des laïcs, mais s’interroge aujourd’hui sur l’étendue possible de leurs responsabilités au sein de la Curie.
« Nous avons tous hâte de voir des laïcs plus engagés, en particulier des femmes, à des postes de responsabilité au Vatican », estimait le cardinal Sean O’Malley, l’un des membres du « C8 », dans un entretien au Boston Globe, le 9 février. Selon ce capucin américain, le pape François pourrait nommer une femme à la tête d’un dicastère, citant en exemple une hypothétique « Congrégation pour les laïcs ».
Cependant, la création d’un tel dicastère et l’avancement de laïcs à des postes de direction au Vatican sont des idées qui ne vont pas aisément de pair. Une « Congrégation pour les laïcs » se veut l’aboutissement d’une longue promotion de leur apostolat, à la suite surtout du concile Vatican II. Auparavant, Pie XI avait créé, en 1938, un bureau de l’Action catholique – présidé par un cardinal – que Pie XII rattacha à un Comité permanent des congrès internationaux pour l’apostolat des laïcs (Copecial), institué en 1952. L’actuel Conseil pontifical pour les laïcs a été créé directement après Vatican II, début 1967 – sous le nom de Consilium de laicis – par Paul VI, qui l’inclut la même année dans sa grande réforme de la Curie.
« On pourrait tout à fait imaginer des femmes à la tête de Conseils pontificaux »
Celle en cours pourrait voir l’élévation de cet organisme en Congrégation à part entière. De source vaticane, la confirmation par le pape, au début de ce mois, du cardinal polonais Stanislas Rylko, 68 ans, à la tête de ce dicastère depuis plus de dix ans, n’empêcherait pas l’évolution souhaitée au sein du « C8 ».
De là à confier une telle Congrégation à la présidence d’un laïc, il y a un pas que tous les théologiens n’estiment pas franchissable. La question porte en particulier sur les pouvoirs juridictionnels d’un dicastère. Pour le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Mgr Gerhard Müller, ces pouvoirs sont liés à l’ordre et ne sauraient être confiés à des laïcs. Mais « on pourrait tout à fait imaginer des femmes à la tête de Conseils pontificaux », a-t-il reconnu à l’agence romaine CIC la semaine dernière. « Les dicastères tiennent leur pouvoir du pape qui les a créés, pas du fait de la prêtrise », distingue toutefois le canoniste français Emmanuel Tawil (Panthéon-Assas).
Sur le fond, la promotion de laïcs à la Curie répond d’abord au souci de mieux allouer les compétences. Comme l’expliquait la présidente du mouvement des Focolari, Maria Voce, au Corriere della Sera, le 30 novembre, un couple de laïcs vivant chrétiennement leur mariage serait plus à même qu’un cardinal de diriger le Conseil pontifical pour la famille.