Fin de vie: le débat relancé
Journal La Croix du 26-06-14
éditorial Par Dominique Quinio
Justice d’émotion
Des jurés d’assises ont décidé l’acquittement d’un médecin qui, sans accord des malades ou de leur famille, sans en parler avec ses collègues, a hâté la mort de plusieurs patients en fin de vie. Le réquisitoire demandait qu’une peine de principe soit prononcée contre le docteur Bonnemaison. L’enjeu n’était pas, en effet, que le médecin soit lourdement condamné, mais de rendre justice à ces victimes, de reconnaître leur qualité d’êtres pleinement vivants, de rappeler que nul, fût-ce par compassion, ne peut se proclamer maître de la vie ou de la mort d’autrui. Ce sont ces victimes que la cour condamne, en quelque sorte, en jugeant que leur vie ne valait plus d’être vécue.
L’émotion aura prévalu, et la bienveillance à l’égard d’un homme qui s’est présenté sans arrogance. Ce verdict, pourtant, bouleversera les soignants qui refusent de tels actes, les familles, les personnes âgées elles-mêmes… Et le débat sur la fin de vie s’en trouve radicalisé. Au risque d’un amalgame entre l’avis du Conseil d’État sur le cas de Vincent Lambert et le procès de Bayonne. Les faits sont au contraire bien distincts : d’un côté, le Conseil d’État a reconnu qu’une décision médicale d’arrêt de soins était conforme à la loi Leonetti qui, précisément, parmi les critères autorisant un « laisser mourir », exige une délibération collective ; de l’autre, on jugeait les actes d’un homme seul, contrevenant à la loi.
Assimiler les deux décisions contribue à brouiller la réflexion, en laissant croire que tous ces dossiers se valent et qu’au bout du compte, qu’on la souhaite ou qu’on la redoute, la légalisation de l’euthanasie est en marche. Il faut au contraire rappeler que la loi Leonetti s’efforce de tenir l’équilibre entre respect de la vie et refus de l’acharnement thérapeutique ; de promouvoir la collégialité médicale et la prise en compte de la volonté du patient ; et elle appelle à la mise en œuvre, sur tout le territoire, de soins palliatifs de qualité. La mission, confiée à Jean Leonetti lui-même (UMP) et au député PS Alain Claeys, laisse espérer que le gouvernement cherche un consensus, en précisant la loi de 2005, sans reconnaître un droit à l’euthanasie ni au suicide assisté. L’émotion ne doit pas entraver cette quête d’un texte de mesure, qui jamais n’occultera les questions que la mort pose à chacun.
La décision du Conseil d’Etat dans l’affaire Lambert peut-elle faire jurisprudence ?
‣ Hier, des associations ont dénoncé le risque que la décision d’arrêt des traitements s’applique à tous les patients en état végétatif et pauci-relationnel, quand bien même le Conseil d’État a précisé que son jugement excluait « tout lien direct et mécanique entre l’état médical et une procédure d’arrêt »
‣ Emmanuel Terrier explique le jugement et se méfie des conséquences des critiques qui lui sont faites.
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« On ne peut pas tirer des conséquences générales d’une analyse casuelle, revendiquée comme telle. Le Conseil d’État a fait une application stricte de la loi Leonetti au cas particulier de Vincent Lambert. Il a vérifié que la procédure prévue par la loi s’appliquait bien à ce patient. Il est donc précisément dans son rôle.
Dans un contexte familial et sociétal compliqué, il considère que juridiquement, sur la forme comme sur le fond, la loi Leonetti pouvait s’appliquer au cas de Vincent Lambert. La forme, c’est la procédure collégiale et le fait que la famille a été consultée. Le fond, étayé par l’expertise médicale, c’est la notion d’acharnement thérapeutique par des traitements qui n’ont pour seul effet que le maintien artificiel de la vie. Les conditions sont donc réunies pour que la loi s’applique. Il avait par ailleurs établi, en février dernier, que l’alimentation et l’hydratation artificielles étaient considérées comme des traitements.
Il n’est pas question d’euthanasie. Il n’est pas non plus question, comme on l’a entendu, de “déculpabiliser” le médecin : le médecin n’a pas commis de faute. J’entends que des personnes ont peur d’un glissement vers l’euthanasie et vers une forme de toute-puissance médicale. Mais ce n’est pas du tout, à mon sens, ce que dit la loi Leonetti. La question, qui est derrière, est donc : que veut-on faire de cette loi ? Critiquer la décision du Conseil qui applique strictement la loi, c’est critiquer la loi elle-même.
Il faut être alors très prudent, car, comme disait Jean Étienne Marie Portalis, corédacteur du code civil en 1804 : “Il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, parce que s’il est possible de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir.” Le risque est qu’on légifère de nouveau, non plus sur l’accompagnement de la mort mais sur la mort elle-même, que ce soit par l’euthanasie ou le suicide assisté. En outre, plus on précisera la loi, plus on risque de créer du contentieux. On donnera alors le pouvoir de décision de la fin de vie aux juges alors qu’il est aujourd’hui aux mains de la collégialité médicale. »
recueilli par Flore ThomasseT
Pour la justice, Nicolas Bonnemaison n’a pas eu l’intention de tuer
‣ La cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques a acquitté hier le docteur Nicolas Bonnemaison, jugé pour avoir accéléré le décès de sept patients en fin de vie. ‣ Contrairement à l’avocat général, qui avait requis cinq ans avec sursis, la cour a estimé que l’intention homicide du médecin n’était pas établie.
Pau De notre envoyé spécial
Acquitté ! Il est un peu plus de 12 h 30 hier, à la cour d’assises des PyrénéesAtlantiques. Le président se tourne vers le docteur Nicolas Bonnemaison. « Vous êtes acquitté » , annonce le magistrat au médecin très ému, qui prend la main d’un de ses avocats. Tandis que dans la salle d’audience, les nombreux membres de son comité de soutien manifestent bruyamment leur joie. « Nicolas, Nicolas », scanderont-ils une demi-heure plus tard au moment où l’ancien urgentiste, accompagné de son épouse, quittera le palais de justice dans une indescriptible bousculade de micros et de caméras.
Acquitté ! Ce verdict, rendu après un délibéré d’environ trois heures, résonne comme un coup de tonnerre. En se refusant à prononcer une peine, même de principe, les magistrats et les jurés ont donc suivi l’argumentation des avocats du docteur Bonnemaison, qui, la veille, avaient martelé que le médecin n’avait eu pour seul but que de soigner et soulager des souffrances. Dans ses motivations, la cour reconnaît pourtant que, pour au moins une patiente, le docteur Bonnemaison a utilisé du Norcuron, un curare interdit dans le cadre des soins palliatifs. Avant le procès, de nombreux observateurs estimaient que l’usage de ce produit, dans le cadre d’une fin de vie, suffirait à entraîner une condamnation. « La sédation, c’est fait pour endormir. Le Norcuron, c’est fait pour tuer » , avait ainsi affirmé l’avocat général, Marc Mariée, mardi, dans son réquisitoire.
Mais en se référant à certains experts, Me Arnaud Dupin, l’un des avocats du docteur Bonnemaison, avait lui assuré que son client avait eu recours à ce médicament pour obtenir un « relâchement musculaire » de cette patiente et soulager ses souffrances. Au final, la cour d’assises a estimé que l’utilisation du Norcuron, « bien que non recommandée en phase de sédation terminale, était néanmoins controversée » et que « l’intention homicide du praticien n’était pas établie » .
Comme annoncé, ce procès de Pau aura été l’occasion de refaire un grand débat sur la fin de vie. Et comme souvent, dans ce genre de circonstances, tout s’est un peu mélangé. Certains ont parlé d’euthanasie, d’autres d’assistance médicale au suicide ou des limites de la loi Leonetti. Ce qui a fini par agacer l’avocat général.
« L’euthanasie, ce n’est pas notre débat. Et nous ne sommes pas là pour juger si la loi Leonetti est bonne ou insuffisante », a expliqué Marc Mariée.
Durant le procès, plusieurs médecins ou familles ont aussi longuement parlé de ces « agonies » interminables, marquées par des douleurs parfois terribles et impossibles à soulager avec les médicaments autorisés par la loi. Des témoignages durs et éprouvants. Mais les débats n’ont pas permis d’établir que les patients du docteur Bonnemaison, à une exception près, peutêtre, se trouvaient dans cette situation. Ces patients, très âgés pour la plupart, étaient certes tous en fin de vie, atteints d’affections graves et incurables. Pour tous, une décision d’arrêt des soins avait été prise de manière collégiale. « Mais leur état était stable et ils ne souffraient pas » , ont assuré plusieurs soignantes des urgences de Bayonne. Pour sa défense, le docteur Bonnemaison a expliqué avoir voulu « soulager des souffrances psychiques » . « Mais vous êtes le seul à avoir vu ces souffrances », lui a répondu l’avocat général.
Pour le reste, les débats ont confirmé que le docteur Bonnemaison avait agi seul, sans consulter l’équipe soignante, ni les familles de ces patients inconscients. Par « souci de les protéger » , a-t-il affirmé. Mais « il n’existe pas de loi dans notre pays qui permette à un médecin de donner la mort à un patient qui ne l’a pas souhaité » , s’est insurgée Me Valérie Garmendia, l’avocat d’une famille partie civile.
Dans son réquisitoire, Marc Mariée a estimé que l’intention homicide du médecin était « réelle » . « La valeur de l’interdit du meurtre demeure fondatrice », a-t-il martelé, en citant un avis du comité d’éthique de l’année 2000. Mais, et cela a sans doute eu un effet décisif dans le verdict final, certaines convictions de Marc Mariée ont à l’évidence évolué au fil des débats. « Mon regard sur vous a changé. Vous n’êtes pas un assassin ni empoisonneur (…). Vous n’êtes pas un être déterminé et froid » , a-t-il lancé au docteur Bonnemaison, en se gardant d’accabler ce médecin, visiblement écrasé par le poids des charges retenues contre lui. Et qui, tout au long du procès, aura fait preuve d’humilité et d’un sentiment de remords, visiblement sincère, envers les parties civiles.
Ce verdict de Pau vient en tout cas se heurter à la radiation définitive prononcée en 2013 contre le docteur Bonnemaison (qui doit intervenir au 1er juillet 2014).
« Nous avons déposé un recours devant le Conseil d’État et, même si c’est compliqué juridiquement, nous espérons bien que la décision de la cour d’assises permettra au docteur Bonnemaison de redevenir médecin » , soulignait Me Dupin, à la sortie du palais de justice. L’avocat général, lui, a dix jours pour dire s’il fait ou non appel. Et hier, dans les couloirs du palais, rien ne filtrait de sa décision.
PIERRE BIENVAULT
Une décision qui durcit le débat sur la fin de vie
‣ Les appels à légiférer comme ceux à résister à l’euthanasie, lancés à l’annonce de l’acquittement du docteur Bonnemaison, ont montré la portée de ce jugement dans le débat public.
Cette décision de justice « ne fait que conforter l’idée simple qu’on a une responsabilité de faire évoluer notre cadre législatif ». La réaction du porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, à l’annonce de l’acquittement du docteur Bonnemaison, dit bien l’impact qu’aura cette décision d’espèce sur le débat sociétal de la fin de vie.
Alors qu’une mission parlementaire pour réviser la loi Leonetti de 2005 vient d’être nommée, l’association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), favorable à la légalisation de l’euthanasie, a ainsi estimé qu’il était « urgent que François Hollande dise clairement qu’il va légaliser l’euthanasie comme 90 % des Français l’attendent ».
À l’inverse, les opposants à l’euthanasie ont dénoncé « un verdict effrayant et révélateur » : « Voilà la France piégée dans un processus de dépénalisation jurisprudentielle de la forme la plus brutale d’euthanasie, décidée par un homme seul, sans demande des victimes », a jugé Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita, dans un communiqué. « C’est un message dramatique pour tous les usagers et pour tous les médecins ou infirmiers qui pourraient être tentés de suivre l’exemple du docteur Bonnemaison. » Cette inquiétude risque d’être renforcée par les propos de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf ) qui a déclaré « prendre acte de cette jurisprudence essentielle pour l’exercice de la médecine d’urgence ».
Hier, nombreux étaient ceux qui demandaient au procureur de faire appel de la décision des jurés. Pour Alliance Vita, une « peine symbolique » , avec sursis, comme l’avait requis le procureur, constituerait, au moins, un « avertissement minimal » : « Le docteur Bonnemaison a franchi une ligne rouge. Sans aucune sanction, c’est tout notre système de santé qui s’avoue incapable de protéger les personnes fragiles. »
Refusant de commenter une décision de justice, Bernard Devalois, chef de l’unité de soins palliatifs de Pontoise, s’inquiète néanmoins lui aussi de ce jugement. « Il faut être très vigilant sur le signal envoyé par la justice qui pourrait être interprété comme une incitation à ce qui constitue, à tout le moins, de mauvaises pratiques , explique-t-il à La Croix . Aujourd’hui, on peut soulager sans tuer et c’est le message que l’on doit rappeler. Une peine symbolique avec sursis aurait envoyé un signal moins dangereux. »