Homélie de départ de l'Abbé Dominique Thiry 31 août 2014
Homélie de départ
Chers amis,
Je ne vous le cache pas: je suis ému de prendre la parole pour la dernière fois comme votre curé. Et il y aurait beaucoup de choses à dire. Mais plutôt que de faire un bilan, un espèce d’inventaire à la Prévert, en jetant un regard en arrière sur ce qu’on a fait, sur ce qu’on aurait pu faire, sur ce qu’on n’a pas pu faire, sur ce qu’on aurait aimer faire, etc… je voudrais plutôt partir de la Parole de Dieu que nous venons d’entendre pour apprécier ces 3 années de présence et ce départ, et ce avec un regard de foi, et pas simplement en considérant les contingences habituelles.
Car ma conviction de croyant est là, et vous la partagez sûrement avec moi: Dieu nous accompagne à chaque moment de notre vie, et il nous donne les clefs de lecture pour la comprendre.
Alors pourquoi le Seigneur me demande-t-il de partir de Phalsbourg au bout de 3 années de ministère ?
Je ne peux m’empêcher d’entendre les paroles du prophète Jérémie dans la première lecture : «Seigneur, tu as voulu me séduire, et je me suis laissé séduire ; tu m'as fait subir ta puissance, et tu l'as emporté. »
Bref comme Jérémie, j'ai vraiment l'impression de m'être fait avoir.
Une fois de plus, je me suis laissé séduire par ce Dieu qui m’invite sans cesse à le suivre, depuis le premier appel au sacerdoce, jusqu’à aujourd’hui, où je suis encore invité à quitter une situation que j’appréciais et dans laquelle je commençais sûrement -dangereusement- à m’installer. En tout cas, c'est comme cela que je l'interprète.
Car lorsque je regarde mes 16 années de ministère, cela va faire la cinquième fois que je fais mes bagages et que je dis au revoir. J’avoue que je ne pensais pas que dans l’Eglise Catholique, ça bougeait autant.
Avouons quand même que les mots de séduction de Dieu sont assez étranges, très éloignés des mots que notre époque utiliserait : «Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. »
On se demande comment le Seigneur peut prétendre avoir des disciples avec de tels propos ? Quand je vois d’ailleurs la charge de vicaire général qui m’attend, je suis plutôt dans l’appréhension.
Mais alors qu’est-ce qui nous fait bouger, nous les croyants, les disciples du Christ? Qu'est-ce qui nous donne la force de partir? Qu’est-ce qui l’emporte dans notre décision de suivre Jésus ?
La réponse, nous la trouvons peut-être là aussi dans les paroles du prophète Jérémie : « Je me disais : « Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. Mais il y avait en moi comme un feu dévorant, au plus profond de mon être. Je m'épuisais à le maîtriser, sans y réussir. »
C’est un mystère mais le croyant est animé d’un feu qui ne vient pas de lui, qui ne vient pas de ses mérites ou de ses œuvres, aussi bonnes soient-elles. Il y a quelque chose en lui qui le fait avancer. Et pour moi, il n'y a pas d'autres explications valables que la charité de Dieu. Et quand Dieu a mis le feu dans un cœur, ça brûle !
J’aime beaucoup cette parole de Jésus : « je suis venu allumer un feu sur cette terre. Et comme j’aimerais qu’il soit déjà allumé. » Dieu se découvre non seulement comme un séducteur original, mais en plus comme un grand pyromane spirituel.
Alors j’espère qu’au court de ces 3 petites années passées à vos côtés, je n’ai pas éteint le feu que Dieu a déposé en vous.
Et de tout cœur, pour toutes les années à venir, je vous souhaite d’être embraser par le feu de Dieu, le feu de la foi, de l’espérance et de l’amour. Et je vous souhaite même de mettre ce feu de la grâce dans tous vos cercles de relations.
Je vous souhaite aussi l’audace de succomber à la séduction divine qui apporte une liberté incroyable, au cœur d’une vie toute ordinaire.
« Aime et fais ce que tu veux » disait St Augustin. C'est difficile d'aimer en vérité. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin sans cesse d’être plongé, purifié dans l'Amour de Dieu.
Vous connaissez sans doute cette grande maxime de la vie spirituelle : si l’amour oblige, il ne contraint jamais. L’amour de Dieu attire comme un aimant, et il libère en même temps. L’amour de Dieu repousse les frontières et les murs que nous nous sommes nous-mêmes construits. Il convertit et il transforme de l’intérieur. Et il invite surtout à prendre le large.
Et le Seigneur a décidé de me faire prendre le large. C’est ainsi.
Il y a quelques semaines, un porteur des pompes funèbres me demandait : « mais vous ne pouvez pas refuser ? Je lui ai répondu du tac au tac : mais vous, quand votre épouse vous demande quelque chose de très important, vous pouvez le lui refuser ? Théoriquement oui, mais dans le concret !
Ce qui motive notre vie de chrétien et lui donne sa cohérence, c’est justement l’Alliance, ce lien très fort qui nous relie mystérieusement à Dieu, sans filet, sans garantie, sans maîtrise, et qui nous relie les uns aux autres, avec la même indétermination, dans une fraternité spirituelle qui là aussi nous dépasse.
C’est cela, l’Eglise dont nous faisons l’expérience. Comme dans une famille, nous ne nous sommes pas choisis. Nous avons été mystérieusement appelés par le Seigneur pour former une communauté chrétienne, qui est toujours à recréer, qui est une invitation à dépasser les simples affinités naturelles, même si parfois c'est difficile. S'ouvrir, aller vers l'autre, c'est toujours difficile. Accepter la volonté de Dieu qui s'exprime par les médiations légitimes, c'est toujours difficile.
Mais avec Dieu nous sommes en Alliance, pas en contrat. Avec Dieu, nous ne devrions pas mettre de clauses ou de conditions à la relation. Car à force de mettre la vie sous condition, sous cellophane, on finit par l’étouffer.
Alors oui, je pars. Mais je ne pars pas avec tristesse ou nostalgie comme si tout était fini.
De loin je préfère l’attitude exprimée dans les paroles de la grande Edith Piaf qui aimait tant Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, paroles que tout le monde connait par cœur : « non, rien de rien, non je ne regrette rien. »
Je vous invite surtout à ne rien regretter, car la vie est devant nous. Nous avons même l’éternité devant nous. Et nous allons la passer ensemble!
Si je ne suis pas très nostalgique, par contre j’attache de l’importance à la mémoire. Je garderai la mémoire vivante de vos visages et des évènements que nous avons vécus. Je garderai le souvenir de ces paysages des Vosges du Nord, de ses sentiers de randonnées que j’ai arpentés avec joie, de vous, ses habitants enracinés dans l’histoire et la culture locale, de vos maires, de vos conseillers municipaux qui sont engagés à vos côtés et que je remercie, et de tous ceux qui font la vie sociale de ce petit coin de Moselle.
Donc, non, je ne vous dis pas au revoir à la manière d’un homme politique célèbre, comme si la défaite était notre horizon. « Au revoir ». Sûrement pas.
Le Seigneur m’a mis effectivement sur la ligne de départ, et vous y êtes avec moi. Nous sommes invités à faire la course ensemble, à nous lancer.
La vie est dans le commencement.
Un départ, c’est un commencement, pas une fin.
St François d’Assise disait au soir de sa vie, alors que son ordre comptait plus de 4000 membres –ce qui était un succès énorme pour un fondateur- : « nous n’avons pas encore commencé ». « Nous n’avons pas encore commencé »
Alors, venez faire la course avec moi.
Enfin au terme de cette longue homélie, je tiens à redire merci à tous ceux qui m’ont épaulé : les conseils de fabrique, l’Equipe d’animation Pastorale, nos deux Animatrices laïques en Pastorale -Isabelle et Céline-, les IER nos catéchistes, nos enfants de chœurs, nos scouts, nos chorales, les membres du secours catholique, les bénévoles….
Je remercie aussi tous ceux que j’ai rencontrés au cours de ces années, les enfants, les jeunes, les personnes âgées, les malades, les personnes en difficulté, tous ceux qui galèrent en ce moment et qui sont venus dans la confiance me livrer leur pauvreté pour que je les représente devant Dieu. Vous m’avez aidé à grandir et à me fortifier. Et j’espère que j’ai pu aussi vous aider à cheminer dans la foi.
Merci surtout au Seigneur qui est la raison d'être de notre rencontre, sans lequel nous ne serions pas là, et qui nous rappelle que l’essentiel est dans la communion fraternelle avec toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté.
Je terminerai enfin par ces mots splendides que Bernanos écrit dans « le journal d’un curé de campagne », tout à la fin de son ouvrage, et qui résume bien ce que j’avais à vous dire en tant que votre curé: "tout est grâce" ! Amen