JOYEUSES PAQUES Message de Pâques de notre curé
« Du confinement à la joie du Ressuscité ! »
Le confinement sanitaire est vécu par beaucoup, et moi le premier, comme une véritable mort sociale, même si nos dirigeants préconisaient, pour stopper la propagation du virus, cette solution qu’est la distanciation sociale.
Décidément, l’ennemi public n°1, ce tristement célèbre coronavirus, nous aura mené la vie dure. Exceptés ceux et celles qui doivent aller au front pour soigner nos malades, pour nous nourrir, pour nous protéger, pour nettoyer nos rues… nous étions tous mis en quarantaine forcée.
Reclus, cloîtrés, enfermés, condamnés à évoluer entre quatre murs, nous étions privés de tout contact humain (rencontres, fêtes, visites…). Les rassemblements étant interdits, il n’était plus possible de célébrer les grandes étapes de notre existence : plus de baptême, plus de mariage, plus d’obsèques si ce n’est un temps de prière au cimetière dans la plus stricte intimité familiale.
Ce qui est encore plus difficile pour nous, prêtres, c’est de ne plus pouvoir célébrer le sacrement de la réconciliation, ni l’onction des malades alors qu’il y a de la demande, ni l’eucharistie en présence du peuple. A moins de vivre sous un régime totalitaire et de nous retrouver dans la situation des martyrs de la foi, c’est la première fois que nous sommes contraints à célébrer la semaine sainte sans les fidèles qui, pourtant, constituent le Corps du Christ.
Comme tout un chacun, je me suis plié aux directives gouvernementales et ecclésiales, respectant à la lettre les mesures de confinement. J’ai pu mettre à profit ce temps qui m’est offert pour méditer les textes de la semaine sainte. Je vous livre ici les fruits de ma lectio divina des textes de la Passion et de la Résurrection du Christ.
Alors que l’actualité nous confine entre quatre murs, l’Evangile de Matthieu que nous lisons en cette semaine sainte nous invite plutôt au déconfinement, au décloisonnement, à l’éclatement des barrières, à l’éclosion de vie. Comment cela ? Relisons ensemble Matthieu 27, 50-54 :
« Or Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit. Et voici que le rideau du Sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas ; la terre trembla et les rochers se fendirent. Les tombeaux s’ouvrirent ; les corps de nombreux saints qui étaient morts ressuscitèrent, et, sortant des tombeaux après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la Ville sainte, et se montrèrent à un grand nombre de gens. À la vue du tremblement de terre et de ces événements, le centurion et ceux qui, avec lui, gardaient Jésus, furent saisis d’une grande crainte et dirent : « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu ! »
Le récit de la mort de Jésus commence, chez Matthieu, au verset 45 par une première évocation d’un phénomène cosmique : À partir de la sixième heure (c’est-à-dire : midi), l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure ; puis vient le cri de Jésus : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Jésus est la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant en ce monde. Au moment de sa mort sur la croix, la lumière s’est éteinte et tout devient sombre. Lorsque nous tuons la présence de Dieu en nous, lorsque nous ne laissons pas régner en nous cette foi, cette espérance, et cet amour qui nous vient d’en haut, l’obscurité nous envahit. Lorsque nous tuons nos semblables ou demeurons indifférents à ce qui se passe dans le monde, l’obscurité gagne du terrain.
Mourir avec le Christ, c'est comprendre qu'il est inutile de vouloir briller par le clinquant des choses de ce monde, par nos fonctions, par nos performances ou par notre santé... Tout cela est bon et agréable, comme le soleil est bon. Mais notre vraie valeur, c'est d'être aimé. Toute autre valeur pâlit devant cela. Le Christ a donné sa vie pour manifester l’amour de Dieu pour nous, pour nous dire que nous sommes véritablement aimés ; qu’une lumière brille et que cette lumière est la vie.
Le second signe c'est que le rideau du Sanctuaire se déchira en deux depuis le haut jusqu'en bas. Le rideau du Sanctuaire (et non le "rideau du temple" comme on a pu le traduire), cache le Saint des Saints dans le Temple de Jérusalem et délimite l’espace sacré par excellence : le lieu où se tient la Présence divine au milieu de son peuple, là où seul le grand prêtre a le droit de pénétrer une fois par an. Le fait que ce rideau soit déchiré signifie que l’accès à Dieu n’est plus réservé à quelques-uns, mais ouvert à tous les hommes. Dieu lui-même vient à leur rencontre, qu’ils soient juifs ou païens. Dans la mort de Jésus se réalise cette alliance nouvelle annoncée par les prophètes, une alliance scellée dans le sang pour le salut du monde. Le rideau du sanctuaire est déchiré, et du coup, notre religion est une religion universelle. Nos églises, nos cultes, nos sacrements, nos confessions de foi, nos dogmes, la Bible elle-même… ne sont pas sacrés, ils ne sont pas confondus avec Dieu, mais ils sont reconnus comme de simples mais bien utiles moyens pour voir les brèches que Dieu a ouvertes pour toute l’humanité. Désormais, plus personne n’est exclu. En Jésus, tout homme a accès à Dieu. Comme le rappelait St Paul dans sa lettre aux Ephésiens 3, 6 : « Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus. »
Le troisième effet de la mort du Christ, c'est que la terre tremble et que les rochers se fendent. La réalité de notre monde et de notre temps se fendille, elle s’ouvre comme la terre lorsque la graine qui a été semée germe et que la plante, encore cachée, va sortir. La terre tremble, les choses les plus solides de ce monde s’ouvrent devant cette réalité des profondeurs, cette réalité vivante, bien qu’invisible encore. Ce tremblement de terre n’est donc pas un signe que notre monde n’a pas d’importance. Au contraire, c’est dans ce monde, dans cette vie, comme dans une bonne terre, que nous recevons cette semence qu’est la vie du Christ. C’est sa foi, c’est cet amour, c’est cette espérance, que Dieu nous offre en Christ. Le tremblement de terre est ainsi le signe de la vie qui germe. Ce que nous sommes et ce que nous faisons aujourd’hui est comme une bonne terre un peu tassée, durcie par nos petites habitudes ; cette bonne terre s'ouvre sous la puissance de quelque chose de vraiment vivant.
Nous étions morts, comme le dit l'apôtre Paul, et nous ne le savions pas. Nous étions enfermés dans un tombeau, notre espérance était enfermée dans un sombre réduit, notre vie était sèche comme un désert. Nous étions morts, nous dit l’apôtre Paul dans sa lettre aux Romains que nous lisons à la vigile pascale, et nous sommes maintenant ressuscités, nous sommes ces morts ressuscités dont parle Matthieu, ces corps inconscients, saints sans le savoir. Nous ne savions pas que nous étions des saints, mais en voyant cet amour que Christ a manifesté, nous nous découvrons subitement saints parce qu’aimés et appelés sans cesse par Dieu, appelés à la vie.
C’est aussi le message que Matthieu nous livre à la fin de son Evangile, que nous lisons à la veillée pascale. Le premier jour de la semaine, Jésus ressuscité apparaît aux femmes qui étaient venues le chercher au tombeau. Il les appelle à la vie en leur demandant de se rendre avec ses frères en Galilée, carrefour des nations et lieu de leur premier amour. C’est en Galilée que tout a commencé, et c’est là qu’il leur donnera mission d’annoncer la Bonne Nouvelle de la Vie au monde entier.
Rappelons donc, malgré les circonstances actuelles, que nous vivons un véritable printemps de Pâques, une transformation vitale. Il suffit de contempler la création pour se rendre compte que la vie est en train de prendre le dessus malgré les apparences. Ainsi, comme nous l’a rappelé Jésus : le grain de blé qui meurt dans la terre donnera place à une plante généreuse, sans commune mesure avec sa semence. De même, la chenille se transformera quoi qu’il arrive en chrysalide pour devenir un être volant, un papillon virevoltant dans le ciel. Nous aussi, à la suite du Christ, nous ressusciterons et nous serons semblables à Lui, parce que nous le verrons tel qu’Il est.
Abbé Pierre LUONG+