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Archiprêtré de Phalsbourg  Communauté St Jean Baptiste des Portes d'Alsace

Benoît XVI en Allemagne

24 Septembre 2011 , Rédigé par La Croix Publié dans #Paroles du pape

Benoît XVI propose à l’Allemagne sa vision de la politique


Article du Journal La Croix du 23 septembre 2011


BERLIN De notre envoyé spécial Michel VERRIER


Le pape a montré, tout au long de sa première journée en Allemagne, qu’il avait entendu les critiques de ses compatriotes.


Devant le Bundestag, il a prononcé un grand discours sur les fondements éthiques de l’action politique. Il a aussi souligné l’importance de l’« écologie humaine ».


Face aux 80 000 personnes réunies pour la messe célébrée par Benoît XVI au stade olympique de de la capitale allemande, ce jeudi soir, le nouvel archevêque de Berlin (nommé le 2  juillet dernier), Mgr Rainer Maria Woelki, du haut de sa relative jeunesse (55 ans), a exposé au pape ses défis : « Ici, seul un tiers des habitants est chrétien. Vous êtes dans une ville où Dieu a été oublié, et où l’athéisme s’est établi. Mais nombreux sont ceux qui y cherchent Dieu. » « Ici, a-t-il poursuivi, l’œcuménisme n’est pas un sujet de plaisanterie : trente Églises chrétiennes sont membres du Conseil œcuménique. C’est un sujet vital. »


De fait, le matin, à l’arrivée de Benoît XVI, les avenues et trottoirs étaient vides, les calicots d’accueil absents. À qui donc allait s’adresser le pape allemand ?

La réponse est venue en deux temps. Devant le Bundestag, dans l’enceinte, marquée par l’Histoire, du Reichstag, Benoît XVI a prononcé un discours (lire page suivante) qui restera dans les annales de son pontificat, comme ceux de Ratisbonne, en 2006, des Bernardins à Paris, en 2008, et de Westminster Hall à Londres, il y a un an. À nouveau, le pape s’est livré à une magistrale leçon de philosophie politique, analysant tout d’abord « les fondements de l’État de droit libéral », pour ensuite souligner toute l’importance des préoccupations écologiques. Une manière, même s’il s’en défend, de tendre une main, inattendue, aux Verts, qui avaient précisément décidé de pratiquer la politique de la chaise vide.


Il s’est d’abord souvenu que « nous Allemands, savons par expérience que séparer le pouvoir du droit, mettre le pouvoir contre le droit » a conduit l’État à devenir « une bande de brigands très bien organisée, qui pouvait menacer le monde entier et le pousser au bord du précipice ».


Peu après, d’ailleurs, devant les représentants de la communauté juive, il affirmera : « Adolf Hitler était une idole païenne, qui voulait se mettre à la place du Dieu biblique. »

Fa c e a u x p a r l e m e n t a i re s, Benoît XVI s’est livré à une longue méditation, « au-delà du principe majoritaire » qui régit les démocraties : « Aujourd’hui, la chose juste n’est pas évidente. Comment la reconnaître ? » Pour le pape, qui s’adresse à un public qualifié, familier – parce que allemand – de la philosophie et de la théologie, « le christianisme, lui, contrairement aux autres grandes religions, n’a jamais imposé à l’État et à la société un droit révélé, un règlement juridique découlant d’une révélation. Il a au contraire renvoyé à la nature et à la raison comme vraies sources de droit, il a renvoyé à l’harmonie entre raison objective et subjective. »


On le voit, Benoît XVI a choisi de s’exprimer de plus haut, de plus loin, comme à côté du bruit médiatique autour de sa visite. Dans sa réponse, le matin, au vigoureux discours d’accueil du président allemand, Christian Wulff, catholique divorcé remarié, évoquant les nombreux sujets de discorde entre Rome et l’Allemagne, Benoît XVI, là encore, a pris une certaine altitude. Constatant « l’indifférence croissante envers la religion », il voit pourtant dans celle-ci « un fondement pour un être-ensemble réussi ». Seule façon, à ses yeux, de garantir « des valeurs qui ne sont manipulables par rien ni personne ».


En fait, c’est dans l’avion que le pape a pris les problèmes à bras le-corps. Répondant aux questions des journalistes qui l’accompagnaient vers Berlin, il a confirmé qu’il se sentait toujours allemand. Sa façon à lui de répondre à l’hebdomadaire Spiegel , qui titre  : « Étranger en son propre pays ».


Aux catholiques allemands, très nombreux, qui sont « sortis » de l’Église, notamment à la suite de la crise des abus sexuels perpétrés par des clercs, il répond : « Je comprends que devant de tels crimes, les victimes et surtout ceux qui sont proches d’elles, puissent dire : ce n’est plus mon Église. » Mais il élargit le champ. Pour lui, un nombre important de ces « sorties d’Église » est la conséquence de la sécularisation, parfois « un dernier pas au bout d’un long chemin d’éloignement de l’Église ». Et il affirme que l’Église n’est ni une « association sportive, ni une association culturelle », où on peut entrer et d’où on peut sortir selon son plaisir. Pour lui, il faut « renouveler la conscience de cette nature spécifique ». 


Face aux protestations en Allemagne, Benoît XVI s’affiche serein : « C’est normal dans une société libre marquée par une forte sécularisation. J’en prends acte et il n’y a rien à dire quand elle s’exprime de façon civile. Je respecte ceux qui s’expriment. » Là encore, il recadre ces oppositions dans la perspective de l’ancienne tension entre « la culture germanique » et la « culture romane », « accentuée par la Réforme ». Pourtant, le pape constate « un consensus croissant » pour affirmer le « besoin d’une force morale, qui manifeste la présence de Dieu dans notre monde ».


Dans l’après-midi, au siège de la Conférence épiscopale allemande, la chancelière Angela Merkel a rencontré Benoît XVI. Une rencontre privée, sans discours. Mais la chef du gouvernement a ensuite confié avoir parlé des marchés financiers, « sur le fait que la politique devait avoir la force d’agir plutôt que de subir. C’est une tâche primordiale à l’époque de la mondialisation. » « Les malentendus sont derrière nous », a confirmé le P. Federico Lombardi, directeur de la Salle de presse du Saint-Siège. Mais chacun s’est souvenu que la fille de pasteur luthérien, ancien membre des Jeunesses communistes, avait, en son temps, soutenu l’évocation des racines chrétiennes de l’Europe dans sa nouvelle Constitution… 


« Comment distinguer entre le bien et le mal, entre le vrai droit et le droit seulement apparent ? »


Hier, en fin d’après-midi, devant les parlementaires allemands réunis au Bundestag, à Berlin, Benoît XVI a développé sa conception de l’action politique et de ses fondements éthiques dans un long discours. Extraits.


« (…) En cette heure, je m’adresse à vous, Mesdames et Messieurs – certainement aussi comme compatriote qui se sait lié pour toute la vie à ses origines et suit avec intérêt le devenir de la Patrie allemande. Mais l’invitation à tenir ce discours m’est adressée en tant que pape, en tant qu’évêque de Rome, qui porte la responsabilité suprême pour la chrétienté catholique. (…) Sur la base de ma responsabilité internationale, je voudrais vous proposer quelques considérations sur les fondements de l’État de droit libéral.


Vous me permettrez de commencer mes réflexions sur les fondements du droit par un petit récit tiré de la Sainte Écriture. Dans le Premier Livre des Rois on raconte qu’au jeune roi Salomon, à l’occasion de son intronisation, Dieu accorda d’avancer une requête. Que demandera le jeune souverain en ce moment important ? Succès, richesse, une longue vie, l’élimination de ses ennemis ? Il ne demanda rien de tout cela. Par contre, il demanda : “Donne à ton serviteur un cœur docile pour gouverner ton peuple, pour discerner entre le bien et le mal” (1 R 3, 9). Par ce récit, la Bible veut nous indiquer ce qui en définitive doit être important pour un homme politique. Son critère ultime et la motivation pour son travail politique ne doit pas être le succès et encore moins le profit matériel. La politique doit être un engagement pour la justice et créer ainsi les conditions de fond pour la paix. (…) “Enlève le droit – et alors qu’est ce qui distingue l’État d’une grosse bande de brigands ?”, a dit un jour saint Augustin ( La Cité de Dieu IV, 4, 1). Nous, Allemands, nous savons par notre expérience que ces paroles ne sont pas un fantasme vide. Nous avons fait l’expérience de séparer le pouvoir du droit, de mettre le pouvoir contre le droit, de fouler aux pieds le droit, de sorte que l’État était devenu une bande de brigands très bien organisée, qui pouvait menacer le monde entier et le pousser au bord du précipice. Servir le droit et combattre la domination de l’injustice est et demeure la tâche fondamentale de l’homme politique. Dans un moment historique où l’homme a acquis un pouvoir jusqu’ici inimaginable, cette tâche devient particulièrement urgente. L’homme est en mesure de détruire le monde. Il peut se manipuler lui-même. Il peut, pour ainsi dire, créer des êtres humains et exclure d’autres êtres humains du fait d’être des hommes. Comment reconnaissons-nous ce qui est juste ? Comment pouvonsnous distinguer entre le bien et le mal, entre le vrai droit et le droit seulement apparent ? La demande de Salomon reste la question décisive devant laquelle l’homme politique et la politique se trouvent aussi aujourd’hui.

Pour une grande partie des matières à réguler juridiquement, le critère de la majorité peut être suffisant. Mais il est évident que dans les questions fondamentales du droit, où est en jeu la dignité de l’homme et de l’humanité, le principe majoritaire ne suffit pas : dans le processus de formation du droit, chaque personne qui a une responsabilité doit chercher elle-même les critères de sa propre orientation. (…) Sur la base de cette conviction, les combattants de la résistance ont agi contre le régime nazi et contre d’autres régimes totalitaires, rendant ainsi un service au droit et à l’humanité tout entière. Pour ces personnes il était évident de façon incontestable que le droit en vigueur était, en réalité, une injustice. Mais dans les décisions d’un homme politique démocrate, la question de savoir ce qui correspond maintenant à la loi de la vérité, ce qui est vraiment juste et peut devenir loi, n’est pas aussi évidente. Ce qui, en référence aux questions anthropologiques fondamentales, est la chose juste, et peut devenir droit en vigueur, n’est pas du tout évident en soi aujourd’hui. À la question de savoir comment on peut reconnaître ce qui est vraiment juste et servir ainsi la justice dans la législation, il n’a jamais été facile de trouver la réponse et, aujourd’hui, dans l’abondance de nos connaissances et de nos capacités, cette question est devenue encore plus difficile. (…)


Pour le développement du droit et pour le développement de l’humanité, il a été décisif que les théologiens chrétiens aient pris position contre le droit religieux demandé par la foi dans les divinités et se soient mis du côté de la philosophie, reconnaissant la raison et la nature dans leur corrélation comme source juridique valable pour tous. (…) Si, avec cela, jusqu’à l’époque des Lumières, de la Déclaration des droits de l’homme après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la formation de notre Loi fondamentale, la question des fondements de la législation semblait claire, un dramatique changement de la situation est arrivé au cours du dernier demi-siècle. L’idée du droit naturel est considérée aujourd’hui comme une doctrine catholique plutôt singulière, sur laquelle il ne vaudrait pas la peine de discuter en dehors du milieu catholique, de sorte qu’on a presque honte d’en mentionner même seulement le terme. (…)


Le concept positiviste de nature et de raison, la vision positiviste du monde est dans son ensemble une partie importante de la connaissance humaine et de la capacité humaine, à laquelle nous ne devons absolument pas renoncer. Mais ellemême dans son ensemble n’est pas une culture qui corresponde et soit suffisante au fait d’être homme dans toute son ampleur.

 

(…) La raison positiviste, qui se présente de façon exclusiviste et n’est pas en mesure de percevoir quelque chose au-delà de ce qui est fonctionnel, ressemble à des édifices de béton armé sans fenêtres, où nous nous donnons le climat et la lumière tout seuls et ne voulons plus recevoir ces deux choses du vaste monde de Dieu. Toutefois, nous ne pouvons pas nous imaginer que dans ce monde autoconstruit nous puisons en secret également aux “ressources” de Dieu, que nous transformons en ce que nous produisons. Il faut ouvrir à nouveau tout grand les fenêtres, nous devons voir de nouveau l’étendue du monde, le ciel et la terre, et apprendre à utiliser tout cela de façon juste.


(…) Je rappelle un processus de la récente histoire politique, espérant ne pas être trop mal compris ni susciter trop de polémiques unilatérales. Je dirais que l’apparition du mouvement écologique dans la politique allemande à partir des années soixante-dix, bien que n’ayant peut-être pas ouvert tout grand les fenêtres, a toutefois été et demeure un cri qui aspire à l’air frais, un cri qui ne peut pas être ignoré ni être mis de côté, parce qu’on y entrevoit trop d’irrationalité. Des personnes jeunes s’étaient rendu compte qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans nos relations à la nature ; que la matière n’est pas seulement un matériel pour notre faire, mais que la terre elle-même porte en elle sa propre dignité et que nous devons suivre ses indications. Il est clair que je ne fais pas ici de la propagande pour un parti politique déterminé – rien ne m’est plus étranger que cela. Quand, dans notre relation avec la réalité, il y a quelque chose qui ne va pas, alors nous devons tous réfléchir sérieusement sur l’ensemble et nous sommes tous renvoyés à la question des fondements de notre culture elle-même. Qu’il me soit permis de m’arrêter encore un moment sur ce point. L’importance de l’écologie est désormais indiscutée.

 

Nous devons écouter le langage de la nature et y répondre avec cohérence. Je voudrais cependant aborder encore avec force un point qui aujourd’hui comme hier est largement négligé : il existe aussi une écologie de l’homme. L’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté. L’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée de soi. L’homme ne se crée pas lui-même. Il est esprit et volonté, mais il est aussi nature, et sa volonté est juste quand il écoute la nature, la respecte et quand il s’accepte lui-même pour ce qu’il est, et qu’il accepte qu’il ne s’est pas créé de soi. C’est justement ainsi et seulement ainsi que se réalise la véritable liberté humaine. »

 

 

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