Homélie de la Sainte Famille 2012
Sainte Famille
Chers amis,
Nous fêtons aujourd’hui la Sainte Famille. C’est une bonne nouvelle pour nous, parce que la Sainte Famille, c’est aussi notre famille. C’est la famille que Jésus nous offre, qui que nous soyons, nous qui vivons peut-être des difficultés et des souffrances dans nos familles.
À Noël, notre regard s'était porté sur l'enfant de la crèche. Notre regard se pose à présent sur Joseph et Marie unis à Jésus.
Je crois qu'il est important pour nous de voir naître Jésus, le Fils de Dieu, au sein d'une famille humaine, entouré d’un père et d’une mère qui s’aiment profondément.
Jésus a voulu se solidariser avec la famille. Il a voulu la promouvoir et la sanctifier. A travers les liens tissés avec Marie et Joseph, il nous a montré que l’important dans une famille, c’était d’avoir des relations vraies et aimantes, où chacun est reconnu, où chacun a sa place, où chacun peut s’épanouir et se développer. Et ces relations sont à soigner, à construire, et à éduquer sans cesse. Et par les temps qui courent, ce n’est pas facile !
Mais cette famille qui s’aime, se construit et se développe, elle est toujours possible aujourd’hui, malgré les difficultés assez graves que rencontrent les familles dans la société actuelle. Comme elle en est le socle, la première cellule sociale, c’est un sujet délicat, qui engendre des débats passionnés. Nous le voyons dans le débat sur le mariage pour tous.
Pourquoi y-a-t-il clivage sur un tel sujet ? Parce que tout le monde est concerné. Sauf exception, tout le monde naît dans une famille, avec tout ce que cela suppose comme attentes, désirs, idéalisations, tensions relationnelles, blessures, fragilités, culpabilités et difficultés à s’y placer et à s’y trouver. Ça peut être dur, la vie en famille !
Qu’est-ce que nous pouvons apporter, nous chrétiens, à la famille, sans stigmatiser qui que ce soit? La première chose, c’est de nous situer dans un regard de foi. Une certitude d’abord : Dieu est venu vivre en famille, pour la sauver, la guérir, pas pour la condamner. Celui qui souffre peut se rapprocher de la Sainte Famille. Il y est accueilli en son sein.
Certes elle est un modèle un peu original. Jésus est le Fils de Dieu. Seul Dieu est son vrai Père. Joseph n’est donc que le père adoptif. Jésus le rappellera à ses parents dans l’épisode de l’escapade au Temple. Car il tient à demeurer dans la vérité des relations. Mais le rôle de Joseph est important : il assume la figure paternelle au sein de cette famille humaine. Et Jésus-enfant s’y soumet comme nous le montre clairement l’Evangile de ce jour.
Cette attitude nous dit quelque chose du plan de Dieu. En assignant sa mission à son Fils, Dieu tient aussi à respecter cette vérité anthropologique qu’il a lui-même instaurée, à savoir que tout être humain naît d’un homme et d’une femme, s’origine d’un père et d’une mère, et a besoin idéalement d’une figure paternelle et maternelle aimantes et exigeantes pour construire son identité et sa vie.
C’est vrai : tout le monde n’a pas cette chance : l’orphelin par exemple. Pourtant c’est bien le projet de Dieu à l’origine, lorsqu’il crée l’humanité homme et femme et lorsque Lui-même s’insère dans cette humanité. Ainsi même adopté, l’identité de Jésus est mieux respectée et mieux protégée parce qu’il est intégré dans cette structure naturelle fondamentale, qui se nourrit d’amour et de communion. Il peut dire tout simplement : « papa et maman, je t’aime. »
Faut-il le préciser ? Sans l’amour et la communion, la famille est invivable même s’il y a un père et une mère. Sans un amour vrai, la vie est un enfer, même en étant mariés. Jésus nous le rappelle lui-même dans l’Evangile de ce jour. Car l’escapade au Temple n’est pas un faux bon de Jésus à l’égard de ses parents. Il est le rappel à tous que pour alimenter le foyer familial d’amour, il faut être présent au temple, il faut se plonger régulièrement en Dieu.
« Comment se fait-il que vous m'ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C'est chez mon Père que je dois être. » Dieu qui est notre Père à tous est le centre unificateur de la famille, la source de sa communion. Visiblement, même Joseph et Marie avaient besoin d’un rappel. Pour ma part, je suis convaincu que si nous vivons tant de difficultés dans nos familles, c’est entre autre parce que la référence à Dieu a été progressivement exclue de l’horizon social, et particulièrement de la famille. Or on ne prie plus en famille. Il n’y a plus de croix au mur. On ne pratique plus. On efface progressivement tous les signes de la foi dans l’espace culturel et social que nous occupons. Et cela a des conséquences.
Mais nous pouvons aussi décider de changer les choses en remettant Dieu au centre de nos familles. Pas facile, je vous l’accorde. Cela passe probablement par des petites choses, des petits pas. Mais, comme le dit le dicton, Rome ne s’est pas fait en un jour.
Dans notre contexte social, nous ne pouvons pas ignorer que la famille naturelle que l’on qualifie de traditionnelle n’est plus la famille que tous partagent. On parle de famille recomposée, monoparentale, homoparentale, et même polygame et polyandre.
Aujourd’hui plus d’un enfant sur deux naît hors mariage, preuve que le mariage civil n’a plus la cote. Il n’est d’ailleurs plus une Alliance depuis la révolution française, mais un simple contrat. Je dis toujours que si on voulait être dans la vérité des symboles, à la mairie, on devrait s’échanger des parchemins, pas des alliances.
Ceci dit, je constate que l’Etat laïc a besoin de signes et de sens religieux pour donner de la valeur à ses actions. Je ne l’en blâme pas: je le comprends même. Car la religion a toujours été une vraie ressource pour donner du sens à la vie des citoyens !
Revenons à la situation de notre société. Elle est complexe. C’est une réalité que nous ne pouvons pas ignorer, tant elle est traversée par des pensées, des cultures et des situations différentes. Ce n’est pas facile pour le législateur d’y voir clair! La société n’est plus homogène. Elle n’est plus chrétienne et unifiée. Elle est maintenant fragmentée, dominée par l’ultralibéralisme en économie et dans les mœurs. Cette idéologie, -je vous en parle souvent-, consacre la loi du plus fort sur le plus faible (du plus médiatique sur le moins médiatique, etc...).
Et malheureusement, -vous le voyez vous-mêmes, elle crée de la rupture dans tous les domaines, et dans laquelle sont embarqués les individus, très souvent malgré eux.
De fait, aujourd’hui les gens sont plus fragiles et plus perdus qu’avant, parce qu’il n’y a plus de repères clairs dans la société.
Gardons-nous bien de juger et de stigmatiser! Jésus nous a appris à aider ceux qui sont blessés, pas à les condamner. Car tout le monde peut se retrouver un jour ou l’autre dans telle ou telle situation, tant les conditions sociales sont oppressantes.
Face à cette situation, plus que jamais, il faut nous serrer les coudes, nous entraider, et redécouvrir ce que l’Evangile a commencé à apporter de neuf dans ce monde, et en quoi il est encore une bonne nouvelle à venir.
C’est là qu’il faut faire appel à l’histoire pour nous rappeler d’où nous venons.
Le judaïsme monothéiste et monogame est né au milieu de sociétés qui étaient majoritairement polythéistes, polygames et esclavagistes. Sauf exception, les femmes dans ces sociétés n’avaient souvent qu’un statut de mineure, donc d’infériorité par rapport aux hommes. Elles étaient surtout considérées d’abord comme des génitrices pour assurer la descendance et le patrimoine. Les mariages étaient arrangés pour des raisons essentiellement économiques. Parfois on adoptait tel ou tel enfant pour les mêmes raisons. Les enfants encore incapables de travailler étaient considéraient juste au dessus des esclaves, parce qu’ils étaient avant tout une bouche à nourrir. A Rome, le père de famille, le Pater familias, avait pouvoir de vie et de mort sur toute sa maisonnée : sur son épouse et ses concubines, sur ses enfants, sur ses esclaves, et sur ses animaux. L’enfant conçu ne devenait son enfant que s’il le reconnaissait. C’était à son bon vouloir. La filiation reposait sur le principe de l’adoption, et non pas sur la présomption de paternité. Quand il voulait se débarrasser d’un nouveau né qu’il ne voulait pas reconnaître, soit il le noyait dans le Tibre, soit il l’abandonnait devant la colonne lactaire, où l’enfant était livré à des exploiteurs en tout genre, qui parfois le mutilait pour qu’il mendie mieux. Ces pratiques cruelles et barbares étaient culturellement admises. Le Pater Familias, c’était vraiment l’exaltation de la toute puissance masculine, avec tout ce que cela suppose comme violence et souffrance au sein de la société romaine. Au sens strict, il possédait les gens de sa famille comme une marchandise.
A la suite du judaïsme, le christianisme, grâce à l’Evangile, a universalisé progressivement un nouveau regard sur la personne humaine. Il lui a fallu du temps et vaincre beaucoup de résistances, y compris auprès des membres de l'Eglise. Mais il a cherché à promouvoir de nouvelles relations au sein de la famille, au sein de la société et entre les nations. Il a permis les droits de l’homme. Il a promu l’éducation et la santé, surtout pour les plus faibles et les plus pauvres. Il a défendu et il défend toujours toute vie humaine qui est sacrée parce que faite à l’image de Dieu, du commencement à son terme. Bref, il a cherché à développer la famille naturelle fondée sur l’égale dignité de chacun de ses membres, en exigeant que le plus fort se sente responsable du plus faible.
« Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait ». Mt 25, 40
Dans une famille vraiment chrétienne, idéalement -telle que l’Evangile et l’Eglise l’envisagent-, l’autre n’est plus l’objet de mon désir et étouffer par lui: il n’est plus l’esclave de mes attentes. Je ne le possède plus. Il est un sujet que je dois respecter et promouvoir.
L’homme et la femme sont donc dans un rapport d’égalité, de communion et de profond respect mutuel. Ensemble, ils donnent la vie et ensemble ils en sont responsables en termes de soin et d’éducation. On ne sépare plus l’acte de procréation de la responsabilité parentale. La filiation repose désormais sur ce lien. La présomption de paternité reconnaît que l'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari.
Ce qui a pour conséquence que l’homme ne peut plus voir la femme comme un ventre dont il dispose arbitrairement pour assurer son plaisir, sa descendance et son patrimoine. Il doit maintenant assumer ses actes, respecter son épouse, et éduquer ses enfants. Et la femme ne peut plus voir en l’homme qu’un géniteur ou un simple partenaire, mais un époux et un père responsable.
Enfin dans cette perspective, l’enfant sait de qui il est issu, à qui il ressemble, et quelle est son origine. Il peut ainsi construire paisiblement son identité. Il s’inscrit dans une histoire familiale stable, et dans le cycle des générations. Il a donc une généalogie. Il peut alors se développer dans les meilleures conditions, parce qu’il se sent assumer et protéger par ceux qui l’ont engendré.
Autre point : le mariage monogame est fondé sur le réalisme et la richesse de l’altérité sexuelle, c’est-à-dire sur l’union possible et intégrale, -corps et cœur-, entre un homme et une femme qui peuvent donner la vie. Le coeur de ce mariage repose sur la qualité de la relation entre les conjoints.
Et la fidélité dans le mariage est le garant de l’unité familiale. L’infidélité détruit le lien. Certes, elle peut être l’expression d’une fuite face à une souffrance réelle. Elle peut aussi révéler ce fantasme qui traverse tout cœur humain : celui de la domination fusionnelle et de la toute puissance, que l’on retrouve souvent dans la polygamie. On ne peut pas tout avoir.
Comme le montre la psychanalyse, et c’est valable pour tout un chacun, apprendre à limiter ses désirs, accepter la castration symbolique, c’est-à-dire refuser de dominer l’autre et le reconnaître comme son alter ego, c’est devenir adulte.
L'homme en dépassant le sentiment de toute puissance doit consentir à ne plus dominer la femme. La femme devenue mère doit aussi consentir à dépasser le sentiment
de toute puissance à l'égard de ses enfants. Sinon cela fait des dégâts terribles.
Poursuivons. Comme je le disais, le mariage est plus qu’un simple contrat. Pour les catholiques et les orthodoxes, il est un sacrement, une véritable alliance conjugale de vie et d’amour, qui se place sous le regard et l’assistance de Dieu. Cette alliance devant Dieu permet l’engagement pour toute la vie. Ce mariage là est protecteur pour la femme et l’enfant. Il sécurise tout le parcours de l’existence. Certes l’accident est possible. Mais il est moins fréquent. Statistiquement si un mariage civil sur 3 casse, pour le mariage religieux c’est un sur 7. Ça tient mieux, même dans un contexte très défavorable à l'unité familiale: on est dans une alliance, pas dans un contrat.
Autre originalité en régime chrétien, le mariage n’est plus une obligation sacrée et une contrainte pour tous, puisqu’il n’est plus l’unique projet de vie possible. Avec le christianisme, il n’y a plus de mariage pour tous. En effet, certains choisissent délibérément le célibat consacré : notamment les religieux. Par leurs choix, ils rappellent à tous que la vraie liberté, c’est la maîtrise de soi par l’abandon de la toute puissance (pauvreté, chasteté, obéissance), pour assumer un projet de vie qui est au service d’autrui, et qui est consacré par Dieu.
Du coup, avec le christianisme, pour la première fois dans l'histoire, le mariage n’est plus une obligation, le destin obligatoire pour tous. Il devient pleinement conforme à la nature humaine qui suppose la liberté. Il devient un choix libre, la réponse à un appel de Dieu, une vocation, et ce notamment grâce à l'apparition de la vie consacrée (au début du christianisme, l'ordre des vierges consacrées). Ce qui veut dire qu’aucun mariage subi, que ce soient pour des raisons exclusivement économiques, des pressions sociales, familiales ou même personnelles, n’est valide aux yeux de Dieu et aux yeux de l’Eglise. C’est la liberté qui gagne.
Enfin l’adoption protège d’abord l’enfant en lui assurant un père et une mère. Les droits de l’enfant abrogent le droit à l’enfant, comme le rappelle la charte universelle des droits de l’enfant. Car l’enfant n’est désormais plus l’esclave des adultes, ni de leurs désirs, ni de leur projet parental. Désiré, il n’est plus un dû, il est un don, et doit être accueilli comme tel.
Voilà ce que l’Evangile nous a apporté. Tout ce long travail d’humanisation a mis des siècles et des siècles pour imbiber la société occidentale. Il est loin d’être achevé. Et cela s’est fait non sans difficultés, non sans erreurs et péchés, y compris de la part des membres de l’Eglise et de ses clercs, avec des pleurs et des larmes.
Mais l'Evangile est en marche, et nous ne l'arrêterons pas, parce qu'il est porté par l'Esprit de Dieu.
En défendant la famille naturelle alimentée par l’amour de Dieu, l’Eglise sait qu’elle défend la structure la plus efficace pour permettre la stabilité du lien et donc le développement de chacun. Et plus il y aura ce type de familles dans la société, plus les familles et les personnes en difficultés pourront être soutenues. Jusqu’à présent, l’institution du mariage, dans le code civil, avait ce but là aussi.
Le redéfinir risque encore de l’affaiblir. Certaines dispositions dans l'avant projet de loi sur le mariage pour tous, notamment sur le droit à l'adoption et la PMA, seraient pour une part un retour aux logiques du paganisme, notamment à travers le droit à l’enfant qui deviendrait la norme sur le droit des enfants. On reviendrait aussi sur le régime de la reconnaissance et de la filiation en revenant là aussi pour une part au droit romain. L’égalité déjà réclamée par certaines associations du droit à l’enfant pour les couples masculins homosexuels, glisserait inévitablement vers la GPA (gestation pour autrui), asservissant à nouveau le corps de la femme. Il y a probablement des aménagements à concevoir pour aider les familles homoparentales à assumer leurs responsabilités, et les soutenir. Mais cela ne devrait pas se faire au détriment de l’équilibre qu’a apporté le mariage, fondement de la famille naturelle.
Nous avons peut-être la chance de vivre dans une famille stable. Alors nous avons le devoir d’être attentifs aux personnes qui traversent des périodes de difficulté, et probablement ne l’avons-nous pas suffisamment fait ces dernières années. L’Evangile est capable de nous aider à trouver des solutions pour toutes ces personnes en souffrance, quelles que soient leur situation, peut-être déjà en vivant une profonde solidarité avec elles. Il faut que nous nous creusions la tête pour que nos familles soient toujours des havres de paix et d’accueil.
Je sais aussi que Dieu n’abandonne jamais personne, et qu’un chemin même sinueux peut devenir un chemin de salut et de grâce. Avec Dieu, personne n’est condamné à l’échec, et on peut toujours réussir sa vie en se donnant tout simplement aux autres.
Quant à nous, tout en tenant fortement la main de ceux qui souffrent, annonçons la bonne nouvelle de la famille aux générations qui viennent. Elle est toujours possible.
Merci de m’avoir écouté si longuement sur un sujet aussi difficile. Amen