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Archiprêtré de Phalsbourg  Communauté St Jean Baptiste des Portes d'Alsace

Nous manquons de courage public

30 Août 2012 , Rédigé par cathophalsbourg.over-blog.com Publié dans #Réflexions

« Nous manquons de courage public »

Propos recueillis par Maryvonne Casse dans  Famille Chrétienne n° 1807 du 1" au 7 septembre 2012   www.famillechretienne.fr 

 


Euthanasie, «mariage» gay... Comment agir dans un monde qui pose un défi de taille aux catholiques : faut-il former une «contre-culture», ou au contraire s'ouvrir au monde ? D'abord, en posant un bon diagnostic, comme le fait ici le Frère Thierry-Dominique Humbrecht.


Le Frère Thierry-Dominique Humbrecht, dominicain, est docteur en philosophie et en théologie, et spécialiste de saint Thomas d'Aquin. Dans un livre tonique11, il décrit le monde dans lequel évoluent désormais les catholiques : avec sa plume aiguisée et sans concession, il peint un paysage « post­moderne » où le relativisme (tout vaut tout) et le nihilisme (rien ne vaut rien) règnent en maître.

 


Quelle analyse faites-vous de la « postmodernité » ? La modernité était l'ère du triomphe de la raison. Ses valeurs étaient universelles, les droits de l'homme admis partout. Elle était autonome, même par rapport à la religion, voire en conflit larvé avec elle, mais le christianisme demeurait en toile de fond.


La postmodernité, elle, ne croit plus en la raison. Restent la volonté, les sentiments, à la gloire des opinions personnelles. Certes, la religion refait surface, mais de façon désordonnée, inculte et réductrice, parfois même chez les chrétiens, avouons-le. En d'autres termes, la postmodernité est l'autre nom de la «dictature du relativisme» selon Benoît XVI.


La situation des chrétiens dans tout cela?

Elle est malcommode, entre désapprobation et complicité. Désapprobation, car les chrétiens perçoivent le décrochement. Complicité, parce qu'ils sont de leur temps. Ils ne se posent pas toujours assez de questions, ou pas assez profondément. Ils en restent à l'opinion, au ressenti, alors qu'il leur faudrait analyser les logiques qui régissent les évolutions, très puissantes, et sur plusieurs plans : intellectuel, politique, médiatique.


Prenons par exemple l'orchestration médiatique pour faire passer des lois qui ont été longuement préparées en amont : euthanasie, « mariage » homosexuel (lire aussi p. 16-20), familles homoparentales... Personne ne s'y opposera jusqu'au bout, même parmi ceux qui les désapprouvent : personnel médical, psychologues, psychanalystes... La pression est si forte qu'elle finit par coucher tout le monde.


Vous dites que « le monde refuse le magistère chrétien», mais qu'il en impose un autre. Dès lors, faut-il entrer en dialogue, ou croiser le fer?

Dialogue et combat sont plus nécessaires que jamais. Ils se complètent, mais réclament de l'audace et de la compétence. Plus rien ne va de soi. Nous ne sommes plus en terrain ami. Dans la communauté catholique française, nous n'avons pas encore pris conscience que le paquebot n'est plus qu'une barque. Nous nous croyons encore majorité silencieuse, alors que nous sommes devenus une minorité, et toujours silencieuse: la pire des situations !


Pour reprendre la phrase de Paul VI, avons-nous besoin de témoins ou de maîtres ?

Témoins et maîtres sont complémentaires, de préférence chez la même personne. Un témoin sans doctrine donne un témoignage inconsistant. Un maître qui ne témoigne pas n'est pas un maître du tout.


«Les chrétiens ont perdu le droit à la naïveté culturelle», écrivez-vous. Entre simplicité de la colombe et ruse du serpent, que choisir ?

Il faut choisir les deux, comme Jésus nous y invite, conscients que, culturellement, nous ne sommes plus chez nous, et par ailleurs que nous sommes d'abord faits pour le Royaume des cieux. Aujourd'hui, nous vivons une crise de la vérité. Or, le Christ est la Vérité qui illumine tout homme...

Il me paraît incroyable que nous en soyons encore à imaginer les bases, alors que nous avons deux millénaires de métier! Qu'avons-nous perdu pour en arriver là? Disons-le franchement : le refus de transmettre la foi objective. Ce fut un massacre du catéchisme et un saccage des vocations.


Comment la nouveauté chrétienne peut-elle apparaître, dans la mesure où beaucoup ont l'impression que c'est déjà connu?

C'est une immense difficulté. Nous apparaissons usés jusqu'à la corde. Pourtant, nous avons deux atouts : la force du message chrétien et l'ignorance des nouvelles générations. Il faut parler au nom du Christ, alors les cœurs s'éveillent.


Que manque-t-il aux chrétiens pour être de nouveau le « sel de la Terre et la lumière du monde » ?

L'ignorance est phénoménale de la foi catholique. Il faut la dire avec les mots de l'Évangile, de la tradition chrétienne, du Magistère, de deux mille ans de culture accessible à tous. Et pas seulement - par pitié ! - avec « mes mots à moi », qui sont si pauvres et souvent inexacts !

Nous manquons de courage public. Nous avons pris l'habitude de tout approuver, de nous taire, de disparaître. « Ne pas faire de vagues » semble parfois le principe premier de ceux qui ont reçu mission de l'Église. Certes, nous ouvrons enfin un œil et commençons à balbutier, mais quarante ans trop tard...


Le plus grand danger pour les chrétiens, c'est que la vie spirituelle s'asphyxie « à force d'approximations», dites-vous...

La vie dite spirituelle peut devenir ambiguë, et même fausse, si elle n'est pas une méditation des mystères chrétiens. Pas de charité qui ne s'appuie sur la Vérité !

Votre diagnostic n'est-il pas trop sévère ?

Mon diagnostic est modéré. Il en est de pires, croyez-moi! Mais il ose dire les choses avec des mots. Bien sûr, il y a des marges de manœuvre. Toutes les idées apostoliques sont bonnes, dès que des volontaires les portent de bout en bout. La question devient celle des acteurs, et parmi eux de ceux qui donnent leur vie...


Benoît XVI a parlé de «pôles de chrétienté» (accumulationde ressources spirituelles à partir desquelles on peut évangéliser). Qu'en pensez-vous?

Le pape a raison. La vie chrétienne se vit en communauté, au cœur de l'Église. Il parle aussi de «minorités créatives» pour décrire notre situation d'apôtres. Il en appelle à notre capacité renouvelée d'intervention dans la société, sur le champ culturel, politique, médical, partout. Il nous faut devenir inventifs, sinon, nous allons perdre des territoires. Les chrétiens ont quelque chose à dire; c'est parfois le monde qui le leur rappelle. Parleront-ils enfin ? •


(1) L'Evangélisation impertinente - Guide du chrétien au pays des postmodernes, par le Frère Thierry-Dominique Humbrecht, Parole et Silence, 286 p., 22 € 

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