Journal La Croix du 5 janvier 2012
Président du Cler, association reconnue d’utilité publique, spécialisée dans le conseil familial et conjugal
RECUEILLI PAR JEAN-BAPTISTE FRANÇOIS
‣ L’analyste des évolutions de la famille et conseiller conjugal souhaite mobiliser la société civile, les entreprises et le monde associatif pour prévenir
les séparations, dont il souligne le coût à la fois humain et économique. ‣ Pour lui, trop de couples n’ont pas pris le temps de s’interroger sur leur projet
commun.
Les litiges post-séparation se multiplient. Comment éviter que ces ruptures ne s’enveniment ?
Jean-Eudes Tesson : C’est important d’avoir un regard extérieur lorsque la tension monte. La médiation est un bon cadre, puisqu’elle amène à une
entente sur les biens matériels, la garde des enfants, et aboutit à un contrat signé. Cela permet souvent de préserver le couple parental. Nous proposons bien sûr cette solution dans le cadre du
Cler, mais je crois qu’on ne touche pas là le cœur du problème. S’il y a de la discorde, c’est d’abord parce qu’il n’y a pas eu assez de travail sur l’union, avant que les difficultés ne
surviennent. Il faut de la prévention. Le rôle de la préparation au mariage, bien sûr, n’est pas d’expliquer les moyens du divorce. Mais, en tant que conseiller conjugal, je plaisante souvent en
précisant que nous proposons aussi le « service après vente » pour faire comprendre aux couples qu’il existe des personnes pour les accompagner, au cas où ils rencontreraient des
problèmes.
Que révèle de notre société la multiplication des ruptures conjugales ?
J.-E. T. : D’abord, les séparations sont vécues comme des échecs, parce qu’elles ne correspondent pas au désir d’amour durable qui est ancré au
plus profond de nous. La grande majorité des Français considèrent les familles stables et unies comme le meilleur cadre pour élever leurs enfants. Mais nous vivons dans un monde qui flatte
l’immédiateté et l’instantanéité. C’est la source, je crois, de beaucoup de difficultés de couples. Parmi les personnes que nous recevons, je constate que beaucoup n’ont pas pris le temps de
« faire couple », un peu comme si le sentiment amoureux pouvait suffire à construire une relation solide. J’ai en tête des jeunes qui ont vécu pendant des années séparément, mais dont
le couple n’a pas tenu une fois qu’ils ont décidé de s’installer ensemble, parce qu’ils ne s’étaient jamais posé la question du projet commun qu’ils pourraient partager sous le même toit.
d’un point de vue social, quelles conséquences entraînent les ruptures lorsqu’elles deviennent inévitables ?
J.-E. T. : Bien sûr, les divorces provoquent de la paupérisation. Les enfants peuvent souffrir des séparations lorsque les tensions se multiplient
et que les réunions de famille deviennent difficiles, voire impossible. Mais je constate que les séparations entraînent aussi beaucoup de pauvreté affective, de la désocialisation et de la
solitude. Cela peut avoir d’importantes répercussions sur la santé, mais aussi sur l’efficacité au travail. Il y a donc un enjeu économique qui s’ajoute à tout le reste, puisque cela a un coût
pour l’entreprise, l’assurancemaladie, sans compter une éventuelle chute de la consommation. Je suis convaincu que les entreprises, pourquoi pas par l’intermédiaire des CE, ont un rôle à jouer
pour aider les couples à prendre soin d’eux.
PAROLES
« Une séparation ne se digère pas en quelques semaines »
JACQUES ARÈNES, psychanalyste
RECUEILLI PAR M. L.
« On pense parfois qu’en allégeant les procédures de divorce, on va apaiser les conflits, mais ce n’est pas si simple ! En général, une séparation ne
se digère pas en quelques semaines et le lien que l’on a construit pendant des années met du temps à se défaire. Je rencontre beaucoup de gens séparés qui ont encore du ressentiment vis-à-vis
de l’autre bien des années après ; le désir d’en découdre, la disqualification de l’autre, tout cela existe… Sans compter que la recomposition familiale n’est pas forcément aisée,
contrairement à ce que les modèles véhiculés par des médias font croire. Je remarque toutefois que la génération actuelle est consciente des difficultés et qu’il faut faire
attention. »